Et Bardot créa Buzios, par Jean-Pierre Langellier
En ce temps-là - les années 1960 -,
Brigitte Bardot ne se mêle pas de la
marche du monde. Sa bouche gourmande ne profère nul propos offensant pour les homosexuels ou les musulmans. Elle n'est que gloire et beauté. Depuis que Dieu l'a créée - merci Vadim -, on la désigne
de ses seules initiales. Simone de Beauvoir admire sa
"marche lascive" et de Gaulle sa
"simplicité de bon aloi". Entrée si jeune dans le
Petit Larousse, elle procure à la France, dit le général, autant de devises que Renault. Elle ne s'est pourtant guère exportée.
Refusant les avances d'Hollywood, elle n'a jamais franchi l'Atlantique.
L'occasion se présente en 1964 lorsque B. B. décide, à 29 ans, de prendre des vacances, loin, croit-elle, des paparazzis. Elle met le cap sur Rio de Janeiro en plein été austral et, à bord d'une Caravelle, découvre à son tour l'Amérique. La destination ne doit rien
au hasard. La star est amoureuse d'un Carioca d'adoption : Bob Zagury, play-boy franco-marocain et
joueur de poker impénitent.
Au Brésil, la renommée de Bardot est à son zénith. Depuis plusieurs années, on chante son nom sur un air de samba ("Brigitte, beijo, beijo"). Lorsque son avion se pose à l'aube du 7
janvier, elle frôle la crise de nerfs en apprenant que 200 journalistes et photographes l'attendent de pied ferme. Derrière le hublot, sa perruque brune, stratagème dérisoire, ne trompe personne.
Elle passera trois jours cloîtrée dans un appartement de Copacabana, avant de tenir une conférence de presse. Elle demande, en échange, qu'on la laisse en paix. Chose étonnante, ce contrat sera
quasiment respecté.
Un voilier l'emmène, avec quelques amis, vers son "refuge secret", la péninsule de Buzios, au nord-est de Rio. Ce vieux rivage indigène tient son nom des longs coquillages dans lesquels les
veilleurs des tribus Tupinamba soufflaient pour prévenir du danger. Au fil des siècles, tous ont fréquenté ses anses turquoise : les chercheurs d'or en partance pour le Pérou, les marchands en
quête de bois précieux, les pirates entre deux mauvais coups, les négriers et leurs cargaisons humaines, les jésuites en mission.
Les baleines ont longtemps maraudé au large, leur chasse entretenant une petite industrie locale. L'huile du cétacé servait à l'éclairage public. On l'utilisait comme mortier pour enduire et
consolider les murs. Du haut de la blanche chapelle Sainte-Anne, un guetteur sonnait la cloche pour signaler le passage d'un mammifère. Les villageois, harpon sous le bras, couraient alors vers
les barques. La plupart vivaient de l'océan. Outre le poisson, ils mangeaient de la farine de manioc, des bananes ou des haricots.
Peu de choses ont changé lorsque B. B. s'installe dans une maison basse aux tuiles rouges qui donne sur l'une des vingt-trois plages de la presqu'île. Elle restera trois mois et demi dans ce
village de pêcheurs sans électricité, ni eau courante, ni téléphone. Avec un seul retour rapide à Rio, le temps du carnaval, auquel elle assiste incognito.
A Buzios, Bardot vit pieds nus entre ciel et mer, en sarong ou en bikini. José Geraldo Chaves, qui
avait 12 ans, se souvient avoir cueilli des fruits pour elle. Soca prétend qu'il est devenu plongeur professionnel parce que la star lui avait offert son premier tuba. Sur les photos autorisées,
prises par un ami, on la voit, la fleur à l'oreille, en compagnie d'une chèvre, d'un chat ou d'un perroquet, ou assise sur un tonneau, entourée d'enfants.
Entre deux baignades, elle caresse une guitare et chante des airs de bossa-nova, comme Maria
Ninguem, le standard de Carlos Lyra, qu'elle enregistrera cette année-là en portugais. Elle
lit un peu, notamment Le Deuxième Sexe, de Beauvoir. Cheveux au vent, visage nu, esprit libre, Bardot correspond alors à ce que Roland Barthes écrivait d'elle sept ans plus tôt dans ses Mythologies : "Elle représente un érotisme dépouillé
de tous ces substituts faussement protecteurs qu'étaient le semi-vêtement, le fard, le fondu, l'allusion, la fuite."
Fin avril, B. B. quitte le Brésil avec 1 200 kilos d'excès de bagages. Elle laisse à Buzios le plus précieux des cadeaux, sa célébrité, dont le village saura tirer profit en exploitant le
souvenir de son séjour. Grâce à elle, Buzios deviendra le "Saint-Trop' brésilien". L'actrice y repassera brièvement en fin d'année, avant d'aller tourner au Mexique avec Jeanne Moreau Viva Maria !
de Louis Malle.
Plus de quarante ans après, Buzios n'a plus besoin de la star pour se vendre. Mais son image et son nom sont encore bien présents ici. Sur la "promenade Bardot", une B. B. de pierre, oeuvre de la
sculptrice Christina Motta, contemple la mer, en jean et tee-shirt rayé, une valise près d'elle.
Pour retrouver le parfum de l'époque, il faut surtout aller chez José Wilson Barbosa, entrepreneur de
métier et collectionneur par passion. Affiches, livres, photographies, dessins, magazines : il a tout récupéré, parfois à prix d'or, de ce qui a été publié sur les deux voyages de l'actrice au
Brésil et rêve que Buzios abrite un musée Bardot.
Dans ses Mémoires, parus en 1996, B. B. rend hommage à Buzios : "J'y ai trouvé un bonheur que je recherchais depuis longtemps. C'est peut-être là, dans cet univers tellement vrai, que j'ai
passé les plus beaux jours de ma vie." L'office du tourisme n'a pas songé à placarder ces deux phrases sur les murs de la ville.
Source :
http://www.lemonde.fr/opinions/article/2008/12/17/et-bardot-crea-buzios-par-jean-pierre-langellier_1132232_3232.html