Les Baléares plantent une nouvelle banderille dans la tauromachie espagnole
Les Canaries l'avait bannie en 1991, la Catalogne en 2010. Lundi, c'est le Parlement régional de l'archipel qui a porté un coup à cette tradition controversée. En interdisant notamment la mise à mort des taureaux, il a mis en colère tout un milieu.
La tauromachie se réduit comme peau de chagrin dans le pays qui l’a vue naître. Après la prohibition de cette «fête nationale» (nom donné à la tauromachie sous le franquisme) aux Canaries en 1991, et sa disparition en Catalogne depuis 2010, voici que l’archipel des Baléares – dont Palma de Majorque est la capitale – veut aussi faire la peau à cette vieille tradition espagnole aujourd’hui chancelante. Qui demeure très vivante, surtout dans les campagnes, avec un total de près de 5 000 spectacles taurins de tout type chaque année, d’après l’agence Europa Press. Mais paradoxalement, le nombre de corridas est en baisse, ainsi que l’affluence et les retransmissions télévisées, elle intéresse à peine les moins de 35 ans, et la récente montée du mouvement animaliste l’affaiblit sensiblement. Désorganisé, peu solidaire, le milieu taurin vient donc de recevoir un autre coup de pique régional qui, selon toute vraisemblance, signifie à moyen terme sa mort définitive dans le très touristique archipel méditerranéen des Baléares. Et qui, à l’échelle nationale, accentue la possibilité d’une contagion généralisée.
Les autorités des Baléares n’ont pas à proprement parler aboli la tauromachie. Elles savent que, depuis une loi promulguée en 2013 par les conservateurs au pouvoir central à Madrid – qui définit cette tradition comme «patrimoine culturel» –, cette initiative serait rejetée par le tribunal constitutionnel. Alors le Parlement régional, dominé par le Parti socialiste, Podemos et les éconationalistes de Més (des formations férocement opposées à une pratique qui «maltraite et fait souffrir des animaux»), a contourné l’obstacle : au lieu de prohiber la tauromachie, il a voté une législation qui l’édulcore au point d’en ôter son essence. Finies la mise à mort et le sang versé dans les arènes (comme au Portugal, où l’animal est tué après le spectacle) ; finis les banderilles et les piques des picadores à cheval. Interdits, aussi, l’entrée des moins de 18 ans, la vente de boissons alcoolisées et autres réjouissances. «Tout cela revient à vouloir en finir avec la corrida, enrage Angel González Abad, chroniqueur taurin. Car, par définition, depuis que la tauromachie existe dans sa version moderne, la mise à mort en est indissociable. Si elle ne se produit pas, alors la corrida n’a plus de sens.» Aux yeux du président de la fédération taurine des Baléares, Juan Antonio Alvarez, «c’est un coup de cette gauche qui a en horreur tout ce qui est espagnol, et qui veut effacer la moindre trace culturelle qu’elle estime étrangère à l’archipel».
Détracteurs ou partisans de la «fête nationale», tous ont la Catalogne dans leur rétroviseur. En 2010, une majorité de députés régionaux – nationalistes ou écologistes – avaient proscrit la tauromachie, sous le prétexte, aussi, qu’elle était incompatible avec les droits les plus élémentaires des animaux. A Madrid, après une plainte du Parti populaire au pouvoir, le tribunal constitutionnel avait entamé une intense bataille judiciaire contre les leaders catalanistes. En novembre 2016, ce même tribunal avait fini par annuler l’interdiction. «Pendant ces six ans, le monde taurin s’est tu, les toreros, les éleveurs, les entrepreneurs, tous, souligne Angel González Abad. Si bien que ce furent six ans de silence, de solitude. Et, pendant ce temps, en Catalogne, la corrida tombait en désuétude.» De fait, les arènes ont depuis changé de fonction, certaines sont devenues des centres commerciaux, d’autres des lieux de loisirs. A Tarragone, par exemple, elles accueillent les «castellers», ces pyramides humaines si typiques de la région. Partout, on a supprimé les étables et les infirmeries pour les taureaux. Si bien qu’aujourd’hui seules les arènes barcelonaises de «La Monumental» pourraient héberger une corrida – ce qui n’a pas eu lieu depuis 2010, sous la pression médiatique et sociale, et du fait de l’absence de garantie de rentabilité.
Or, c’est bien ce qu’escomptent les antitaurins aux Baléares : profiter des démêlés judiciaires qui sont à prévoir pendant les mois – ou les années – à venir, et empêcher par tous les moyens l’organisation de corridas pendant cette période d’incertitude. D’autant que la législation régionale, tout juste approuvée, prévoit quantité d’obstacles administratifs : obligation que les taureaux soient issus d’élevages de l’archipel –rares –, des contrôles antidopage supplémentaires pour les toreros, des examens sanitaires tatillons pour les animaux, etc. Cet été, à n’en pas douter, les corridas prévues dans les Baléares auront certainement lieu, notamment à l’occasion de la grande fête de Palma de Majorque, avec la présence remarquée du torero français Sébastien Castella. Mais, à l’avenir, après la Catalogne et les Canaries, les milieux taurins ont de bonnes raisons de craindre la perte d’un nouveau bastion.