Brigitte Bardot dans le livre de Farid Abdelouahab..."Muses"

Publié le par Ricard Bruno

Mise à l’honneur dans un livre paru aux éditions Arthaud, la figure de la muse face à l’artiste suscite fantasmes mais aussi questionnements philosophiques sur l’acte créateur et le désir. Vannina Micheli- Rechtman, psychanalyste française passionnée par les rapports entre l’art et la psychologie, jette pour nous quelques ponts supplémentaires.

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L’objet fait partie, en ce moment, de ces fameux beaux livres qui déploient leurs couvertures de luxe en tête de gondole des librairies. Lové dans un format généreux, que ce soit en étendue comme en épaisseur, Muses ne peut s’empêcher d’attirer le regard. A commencer par ce titre tracé en script rose, comme un mot laissé au rouge à lèvres sur un miroir, sensuel sillage d’une entité qu’on devine suprêmement féminine. Il faut dire que nous sommes ici jetés dans le vif du sujet, un beau sujet d’ailleurs, que celui des muses, ces femmes qui furent souvent sorties de l’ombre et intimement impliquées  dans le processus créateur d’un artiste, jusqu’à devenir en elles-mêmes des œuvres d’art inatteignables se confondant avec le médium et la matière.

 

Sur près de 240 pages en papier glacé, Farid Abdelouahab, écrivain mais aussi commissaire d’exposition, fait défiler photographies et représentations des plus marquantes figures des deux derniers siècles. Vingt-cinq individualités fascinantes qui provoquèrent, stimulèrent, façonnèrent le génie artistique de certains par le simple fait d’être. On y croise, pêle-mêle, Marlène Dietrich et le cinéaste Josef von Sternberg, Dora Maar et le peintre Picasso, Lou-Andreas Salomé et le poète Rilke. Silhouettes dénudées, visages magnifiés, auras divines, retranchées  dans les cimes ultimes de la beauté ou ionisant tout ce qui les entoure par un magnétisme surnaturel, elles sous-tendent parfois le travail d’une vie comme autant de clefs de voûte vouées à faire s’élever un ouvrage. Maillons d’un duo sans équivalent, d’un choc frontal nourricier, mais surtout inspiratrices nées, aux pouvoirs contagieux.



Entre possession et introspection



Une muse peut ne pas être que d’un seul artiste. Quelque part dans le livre, on se souvient du destin extraordinaire de Gala, institutrice russe qui devint la femme et l’inspiratrice de Paul Eluard après une rencontre au sanatorium, avant de glisser, au cours d’une étrange triangulation amoureuse, dans les bras et les toiles de Salvador Dali. Objets de leur pygmalion, certes, dans une certaine mesure, mais surtout appel abyssal au sentiment amoureux, au présage de l’infini, aux territoires indicibles du cœur. D’alma Mahler à Diane Keaton, en passant, par Brigitte Bardot, Yoko Ono ou Pénélope Cruz, c’est bien le désir qui se fait caméra, plume ou pinceau. «Une muse est une personne qui participe au déclenchement de l'inspiration poétique ou artistique autrement dit du désir ; le désir de créer et le désir au sens propre, et c’est pourquoi certains artistes accordent un tel statut à leurs muses» éclaire Vannina Micheli-Rechtman, psychiatre, psychanalyste, docteur en philosophie et auteure de La Psychanalyse face à ses détracteurs.



En effet, quand la collaboration de la muse et de l’artiste n’est pas fondée sur un lien réciproque, celui qui unit à l’épouse, l’amante ou l’amie ambigüe, elle n’en est pas moins la plupart du temps projection d’une attraction des sens. Etre muse, c’est avoir dépassé depuis longtemps le stade du modèle, de l’exécutant servant de support à l’œuvre. Qu’on se souvienne de la fuyante Laure de Pétrarque, ou la dédaigneuse Béatrice de Dante. Une telle somme de travail pour des égéries aussi étrangères qu’inaccessibles…



Quoi qu’il en soit des liens, pour qu’une muse soit muse, compagne de trente ans ou quasi inconnue, il doit de toute manière y avoir cet état immuable de désir, de quête inassouvie d’une jouissance possible, la relation charnelle n’étant qu’un prémisse, et non un aboutissement, ainsi que le précise Vannina Micheli-Rechtman: «Le désir est différent du besoin qui est biologique et se satisfait d’un objet réel. Derrière la muse se cache en fait ce qui participe au désir et à la nécessité de création pour un artiste. Pour la psychanalyse le désir est une notion essentielle qui réunit deux conceptions, l’une philosophique qui s’appuie sur la notion hégélienne du désir (Begierde) et l’autre psychanalytique au sens freudien (Wunch). Dans le premier cas, le désir renvoie à l’idée que la relation à l’autre passe nécessairement par le désir: l’autre est l’objet du désir que la conscience désire en miroir qui lui permet de se reconnaître en lui. Et dans le deuxième cas, pour Freud, le désir est le désir inconscient qui tend à s’accomplir et parfois à se réaliser. Ainsi il s’associe d’emblée à la conception du rêve, du refoulement, du fantasme».



Questions de genres à creuser



Mais si la muse est suscitation du désir, pourquoi est-elle presque systématiquement associée à la figure féminine et ce dès l’antiquité, quand l’homme, de son côté, est lui aussi capable d’attiser les flammes chez le sexe opposé? «Ce sont généralement des femmes, sans doute parce qu’elles gardent un caractère énigmatique, c’est l’énigme du féminin, suppose la psychanalyste française. Toutes les œuvres d’art et l’art en général sont des énigmes qui cherchent la vérité derrière l’apparence.» D’auncuns remarqueront qu’il existe bien des muses masculines, mais que Jean Marais pour Jean Cocteau, ou plus récemment Yves Saint-Laurent pour Pierre Bergé, ont atteint ce statut dans le cœur et les yeux d’hommes aimant les hommes, mieux, d’hommes rêvant des hommes.



En clair, l’imaginaire collectif ne semble pas encore reconnaître la faculté des artistes féminines à élire des muses dans la catégorie messieurs. Parmi ces dernières, plusieurs ont néanmoins bâti leur travail autour de femmes qui peuvent elles aussi prétendre au rôle d’inspiratrices, comme a pu le faire la photographe Annie Leibovitz avec sa compagne Susan Sontag, lui consacrant des dizaines de clichés. A vrai dire, qu’elles soient d’un sexe ou de l’autre, les muses encensées par les créatrices demeurent mal identifiées, alors que le phénomène est sûrement là, dissimulé derrière la flamboyance éternelle des Marlène Dietrich et autres Lydia Delectorskaya, obsession immortalisée par les peintures de Matisse. Le sujet d’un prochain ouvrage, qui sait…

 

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