Depuis des siècles et au moins une fois par an, des centaines de globicéphales (des dauphins) sont massacrées au large des îles Féroé, dans les eaux danoises, dans une tradition festive dénoncée
depuis une vingtaine d’années par l’association Sea Shepherd et la Fondation Brigitte Bardot. Cet été, toutes deux ont uni leurs forces pour une opération de quatre semaines sur le terrain ; une
expédition houleuse que nous a racontée Christophe Marie, directeur du bureau Protection animale de la Fondation.
Marie Desnos - Parismatch.com
Quand la fête et la cruauté se rencontrent. Régulièrement, la mer des îles Féroé (territoire danois autonome, cf encadré) est le théâtre d’un massacre de
globicéphales (une variété de dauphins, aussi appelés baleines-pilotes), une chasse traditionnelle remontant à la fin du XVIe siècle. A chaque fois que des groupes de globicéphales se présentent
à l’horizon, les Féringiens sont autorisés à quitter leur travail, ou même l’école, pour se rendre en mer et participer à cette barbarie. D’un naturel très solidaire, ces cétacés se déplacent en
bande et sont facilement appâtés par le sang des leurs. A chaque fois, plusieurs centaines d’animaux sont ainsi rabattus sur la côté, à l’aide souvent d’un morceau de cadavre (comme cette tête
ci-contre) avant d’être tués à coups de crochet planté dans l’évent (orifice qui leur permet de respirer, ndlr). La douleur est certaine, le spectacle immonde. Les femelles prêtes à mettre bas
sont éventrées.
Copyright © Peter Hammarstedt / Sea Shepherd Conservation Society
Et tout cela sans aucune autre raison que la tradition. Car si à l’époque, cette fête du «grindadanzur» était de nécessité alimentaire, il ne s’agit aujourd’hui pas d’une chasse de subsistance.
Une recommandation de 2008 proscrit même la consommation de la viande et de la graisse de globicéphale qui présentent des taux très élevés de mercure, et autres polluants provoquant notamment des
problèmes nerveux -des cas de parkinson ont ainsi été relevés sur des enfants de moins de 10 ans. Il ne s’agit pas non plus d’une chasse commerciale: les pêcheurs ne vendent pas sa viande et sa
graisse n’est pas non plus recyclée en rouge à lèvre ou autres cosmétiques. Si les Féringiens assurent néanmoins consommer la chair de l’animal, la Fondation Brigitte Bardot, qui s’est rendue sur
place lors d’une expédition en mer du 31 juillet au 24 août aux côtés de l'association écologiste Sea Shepherd, certifie que cette vérité n’est que toute relative. «Les cadavres entiers que l’on
a retrouvés en témoignent», relate Christophe Marie, le directeur du bureau Protection animale de la Fondation. Selon leurs recherches, seuls quelques morceaux sont prélevés et distribués dans
certaines écoles et hôpitaux.
Traqués par les autorités
Après vingt ans de combat mais un rite qui perdure, la Fondation Brigitte Bardot s’est associée à l’ONG fondée par Paul Watson (cf encadré), finançant une opération de quatre semaines en mer. Un
groupe formé d’une quinzaine de personnes au total, s’est ainsi rendu dans les eaux danoises pour constater, analyser, mais aussi et surtout sensibiliser l’opinion et installer des balises pour
faire fuir les animaux. Comme lors de l’opération menée par François-Xavier Pelletier, en 1987, au cours de laquelle l’éthno-cétologue avait risqué sa vie pour observer et filmer ces pratiques,
le danger était de tous les instants. Leur bateau, le «Golfo Azzuro», a fait l’objet de fouilles musclées de la part de la police de la mer féringienne, soutenue par l’armée danoise. Il a été
suivi par la Navy durant quatre jours consécutifs, traqué par hélicoptère, des appels étaient même lancés vie Internet exhortant les pêcheurs à faire couler leur embarcation. «C’était très
éprouvant», avoue Christophe Marie, qui garde en tête les tirs qu’avait essuyés François-Xavier Pelletier il y a dix ans, faisant couler son bateau. Le spécialiste et passionné, qui avait passé
trois mois à se à créer un réseau local d’informateurs pour le prévenir en cas de chasse, était parvenu à tourner ces images, qui firent plus tard l’objet d’un documentaire Ushuaia (TF1), en
1988. «Il avait eu l’autorisation de prendre des photos, rappelle Christophe Marie, ce qui ne l’avait empêché de passer sept semaines en détention», en résidence surveillée. A noter que
François-Xavier Pelletier faisait une fois de plus et malgré tout partie de l’aventure.
Trois personnes se sont succédé à terre dont l’une a été informée d’un grind (le nom de cette chasse), le 5 août… trop tard. Après des essais préalables concluants sur des dauphins, l’équipe a
ensuite installé les fameuses balises-son à basse fréquence, dans quelques unes des 23 baies qu’abrite l’archipel. Là encore, il s’agissait de ne pas se faire repérer par les Féringiens à
l’affût. Quand tel était le cas, des foules entières étaient amassées sur la côte avec des jumelles ; l’embarcation devait alors fuir au plus vite, et se faire oublier pendant un temps. Or, il y
a eu des fuites. La presse locale a informé la population du fait que s’il n’y avait eu qu’un abattage au mois d’août, -alors que c’est la période la plus propice- c’était à cause de balises
émettant des «cris d’orques», posées par deux associations. Une fois, après avoir eu vent d’un rabattage imminent, ils se sont rendus au lieu dit, dans des conditions terribles, en pleine
tempête. Mais ce n’était qu’un traquenard. Le «Golfo» a dû rebrousser chemin contre vents et marée et se réfugier dans un Fjord le temps que la situation se tasse et que la mer se calme. Le
dernier jour, l’équipe est allée dans les sept baies qui n’avaient pas encore accueilli cette «fête» locale -car comme nous l’a expliqué Christope Marie, les Féringiens se répartissent assez
égalitairement ce «privilège»- pour y installer leurs sondes, accompagnés de petits messages à l’attention des Féringiens. L’un d’eaux reprend la célèbre phrase de Gandhi: «The greatness of a
nation can be judged by the way people treat their animals», c'est-à-dire «La grandeur d’une nation peut-être évaluée à la manière dont les gens traitent leurs animaux».
Celui-ci fait référence à la première mission que Brigitte Bardot et Paul Watson ont menée ensemble, au Canada (cf encadré).
Lettre ouvert à la reine
Le 20 août dernier, au lendemain de la découverte d’un charnier marin par François-Xavier Pelletier (photo François-Xavier Pelletier), Brigitte Bardot et Paul ont envoyé une lettre
ouverte à la reine Margrethe II du Danemark, dans laquelle ils l’appellent à faire pression sur les îles Féroé, via les subventions que le pays lui verse, afin «d’abolir enfin
une pratique aussi cruelle qu’inutile», à défaut de quoi les deux organisations «ont décidé de s'unir pour mener une campagne internationale contre le Danemark, coupable et complice d'actes de
barbarie». Car ils réfutent la position de Copenhague, qui se réfugie derrière l’autonomie du territoire, pour se dédouaner de toute responsabilité. «Un député danois pourrait tout à fait déposer
une déclaration écrite demandant à la Commission européenne d’agir par exemple», souligne Christophe Marie. «D’ailleurs notre prochaine mission sera de convaincre la Commission d’elle-même faire
pression sur le Danemark, qui bénéficie également de subventions européennes.»
Leur lettre a été publiée dans le «Metroxpress» et le «Jyllands-Posten», deux quotidiens Danois, et devrait l’être dans L’«European Voice» en septembre. La prochaine étape de leur lutte sera le
Parlement européen en novembre. Leur action est rendue d’autant plus difficile que le globicéphale n’est ni considéré comme en voie d’extinction, ni ne fait l’objet d’un commerce international
(donc la Convention sur le commerce international des espèces sauvages menacées d’extinction, ou Cites, n’est pas applicable), et que les îles Féroé ne sont pas signataires de la convention de
Bernes sur la protection de la vie sauvage. (Pour en savoir plus, cliquez ici) En outre, les globicéphales sont considérés comme des petits cétacés, donc la Commission baleinière
internationale (CBI) n’a pas compétence pour statuer en la matière. Mais «la bataille ne s’arrête pas là», conclut Christophe Marie dans son journal de bord (consultable ici), «bien au contraire, elle commence. Et nous la mènerons (…) jusqu’à l’abolition de cette ‘tradition’
barbare qui fait honte aux féroé, honte au Danemark, honte à l’humanité entière».
Source : http://www.parismatch.com/Actu-Match/Environnement/Actu/Iles-Feroe-La-tradition-du-sang-210986/