Alors que c’est aujourd’hui,vendredi 4 mars 2011, qu’est inhumée au Père Lachaise à Paris l’actrice décédée le 28 février dernier à
l’âge de 79 ans, profitons-en pour revenir sur le parcours artistique d’Annie Girardot et sur sa vie de femme. De « la
Girardot », on se souvient tout d’abord de son franc-parler et de sa voix éraillée, comme abîmée avec le temps par le tabac et les affres des paradis
artificiels. On se souvient également de sa déclaration poignante à la cérémonie des César en 1996 pour l’obtention du César de la Meilleure actrice dans un second rôle pour Les Misérables de Lelouch : « Je ne sais pas si j’ai manqué au cinéma français, mais à moi, le cinéma français a
manqué follement… éperdument… douloureusement. Et votre témoignage, votre amour, me font penser que peut-être, je dis bien peut-être, je ne suis pas encore tout à fait morte. »
Et on se souvient surtout de ses rôles au cinéma, tant dans les films d’auteur que dans le registre commercial.
Si l’on devait jouer au filmologue patenté,
genre bouche pincée pour se protéger derrière le bon goût du snobisme, il serait de bon ton
de ne retenir d’elle que ses apparitions à l’écran chez des auteurs prestigieux (Visconti, Ferreri, Comencini, Cournot, Blier, Haneke) mais ce ne serait pas tellement lui rendre justice. Car,
pour être fidèle à son image d’« actrice populaire », on ne peut passer sous silence son évolution, avec des hauts et des bas, dans le cinéma commercial. Dans cette veine-là, n’en
déplaise aux ayatollahs de l’intégrisme cinéphilique, il arrive que de bonnes choses s’y passent ; de même, qu’a contrario, le cinéma dit
d’auteur n’est pas toujours à la hauteur, loin s’en faut, des promesses de son appellation. Alors c’est vrai, Annie Girardot
n’a pas joué que dans des chefs-d’œuvre, elle a même à son actif un certain nombre de films médiocres, voire de nanars, mais elle avait pour elle, comme un Bébel ou une Romy Schneider, un fort
capital sympathie auprès du public. Bref, c’était une nature ; Jean Cocteau ne s’y était d’ailleurs pas trompé lorsqu’il avait dit d’elle à la fin de la générale de sa Machine à écrire : « Tu as le plus beau tempérament dramatique de
l’après-guerre ! »
Annie Girardot a été tour à tour une jeune femme séductrice, une Madame Tout-le-Monde et une femme de tête, à poigne, ne se laissant pas dicter sa conduite par les hommes ou par la bonne morale sociétale. Il faut se
rappeler d’un temps, celui des années 70, où l’on allait au cinéma pour voir « la Girardot » ; son nom au générique suffisait pour qu’un film
puisse se monter financièrement. A défaut d’être une star (à savoir un être dont l’aura la maintient à distance des autres), Girardot était davantage une
vedette populaire, accessible et disponible, ne se refusant point à rencontrer son public pour tailler la causette avec lui, en toute simplicité. Si elle a eu de grandes joies professionnelles
(un certain nombre de ses films ont obtenu le million d’entrées, voire plus, au box-office français), la vie ne l’a pas épargnée. Aux côtés de ses rôles mémorables qui ont marqué la conscience
collective, c’est certainement dans ses souffrances et sa carrière en dents de scie que le public s’est également reconnu. A sa mort, Bertrand Blier, très justement, a déclaré qu’elle était
« tellement drôle et douloureuse à la fois. Les Français s’en souviennent comme d’une actrice qui avait joué dans beaucoup de comédies. Elle avait pris
un virage très populaire après Rocco et ses frères. Mais elle était pleine d’émotion et de souffrance. » On savait d’elle deux
ou trois choses. Concernant les violences conjugales qu’elle a dû subir de son mari, l’acteur Renato Salvatori, sa dépendance à l’alcool et à la drogue ou encore son ultime combat contre la
maladie d’Alzheimer. Irrémédiablement plongée à partir de 2006 dans le silence de l’oubli, on savait d’elle ce que ses proches voulaient bien nous en dire. Sa fille Giulia Salvatori, dans son
livre Annie Girardot : la mémoire de l’oubli (2007), avait témoigné
sur sa vie au quotidien auprès de sa mère malade. Et, en 2010, dans le cadre de la journée mondiale contre la maladie, elle avait déclaré publiquement que sa mère ne se souvenait même plus
d’avoir été actrice : « Si j’ai un message à faire passer, c’est de ne plus essayer de rencontrer Annie
Girardot, d’avoir une dernière photo… » L’actrice est morte le 28 février 2011 à l’hôpital Lariboisière à Paris. Rideau.
Nous,de toute évidence, on ne l’oubliera pas pour certains rôles marquants. Il faut revoir Annie Girardot, belle et séductrice, dans l’admirable Rocco et ses frères (1960,
Luchino Visconti). Depuis un certain temps, on gardait d’elle l’image d’une vieille femme au visage abîmé et flétri par la vie mais il faut vraiment la revoir frémissante de vie, de désir et de
fraîcheur dans ce mélodrame poignant. En quelque sorte, elle a eu la trajectoire physique d’une Simone Signoret : avec le temps, un aspect râpeux a succédé à la beauté de sa jeunesse.
Rocco et ses frères, film charnière pour Visconti entre le néoréalisme de ses débuts et le pessimisme dostoïevskien du Guépard, montre une Nadia (A. Girardot), prostituée de son état, qui doit subir, dans une société créée par les hommes, la
trajectoire égoïste de destins masculins menant jusqu’à la désintégration inéluctable d’une famille pauvre de l’Italie du Sud. Elle y joue une femme sacrificielle, se résignant à subir son sort,
histoire de répondre aux diktats de la tradition familiale, consistant notamment à respecter le frère aîné, quoiqu’il arrive. Ballottée entre Simone (Renato Salvatori) et Rocco (Alain Delon),
Annie Girardot est inoubliable dans la scène où, face à un Simone désespéré, elle se met en croix pour se laisser
poignarder : « (…) quand Simone s’avance pour la poignarder, c’est un geste de résignation, de quelqu’un qui a compris que de toute façon il ne
s’en sortira plus, que c’est là sa route. Et en fait c’est sa fin. Elle ne se rebelle pas devant le meurtre, le geste de Simone, au contraire elle s’offre comme une sorte de Carmen, en un sens.
Simone a été sa vie, mais sera aussi sa mort. » (Visconti, in Luchino Visconti cinéaste, par A. Sanzio et P-L. Thirard, éd.
Persona, 1984). On n’oubliera pas non plus Girardot dans un autre film d’auteur, La Pianiste (2001), de
Michael Haneke. Elle y interprète avec brio une mère acariâtre et possessive. Les scènes en vase clos dans lesquelles elle insulte sa fille Erika, remarquablement interprétée par une Isabelle
Huppert toute en cérébralité, laissent des marques. Encore une fois, il s’agit d’un film sur l’envers du décor familial. La famille comme terrain privilégié pour laisser advenir toutes sortes de
résignations, de frustrations et d’aigreurs. Attention : La Pianiste, film sans concession, à ne pas mettre entre toutes les mains. Chose
curieuse, et c’est certainement ici le signe flagrant d’une grande actrice à l’œuvre, c’est surtout dans le hors-cadre – on entend beaucoup sa voix off – qu’Annie Girardot manifeste sa présence (étouffante) dans La Pianiste. Précisons que sa
prestation remarquée dans ce film dramatique lui vaudra en 2002 le César de la Meilleure actrice dans un second rôle puis, en 2005, la conduira à jouer de nouveau une mère, quelque peu à
l’identique, dans le troublant Caché (2005), toujours du même auteur.
Enfin,Annie Girardot n’était pas
seulement à l’aise dans le drame, mais également dans la bouffonnerie. Et c’était aussi pour ça qu’on l’aimait : pour son abattage et sa gouaille. Pour preuve, parmi moult prestations
comiques, dans La Zizanie (1978, Claude Zidi), son rôle de femme passionnée d’horticulture face à un mari industriel ayant fermement décidé
d’installer ses machines dans leur maison. Face à un Louis de Funès survolté, « la Girardot », en même temps qu’elle (s’)amuse, manifeste un
tempérament féministe qui vient parler des seventies. Ce film, bien que mineur, résiste bien aux multiples rediffusions télévisuelles, il doit cela certainement, moins à son scénario, plutôt
poussif, qu’à la présence d’un duo d’acteurs pétaradant. Bref, Annie Girardot, que ce soit en mode mineur ou majeur, on ne
l’oubliera pas de si tôt.
Source : http://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/retour-sur-annie-girardot-1931-89894