Saint-Tropez - Septembre 1974 - Portrait de Brigitte Bardot à l'heure de son 40e anniversaire. | Photo Jack Garofalo
Stéphane Bergouhnioux, le coréalisateur de "Match, l'album des Français", revient sur les secrets de fabrication du documentaire.
Interview Arnaud Bizot - Paris Match
Paris Match. Pour quelles raisons vous êtes-vous penché sur Paris Match ?
Stéphane Bergouhnioux. Cet hebdomadaire est depuis plus de soixante ans une institution en France, ancrée dans le paysage médiatique. Je l’ai toujours parcouru mais, en me
plongeant dans les archives, je me suis aperçu à quel point chaque numéro traverse tous les genres. People, têtes couronnées, stars, mais aussi reportages de guerre, politiques, sociologiques.
Le journal “ratisse” très large, c’est passionnant.
Le documentaire est très long, quatre épisodes de cent dix minutes. Comment avez-vous procédé ?
Il a fallu six mois de travail. Le film est lié aux histoires racontées par une quarantaine de reporters et photographes de l’équipe actuelle, mais aussi un grand nombre d’anciens. Lié aussi aux
photos qui nous ont marqués en regardant des milliers d’images fournies par les archives. Comme Hitchcock en costume, les pieds dans l’eau, à Cannes, Bardot en bonne sœur les seins nus, ou ces
gens agrippés à un radeau de fortune dans les rues de La Nouvelle-Orléans. Le documentaire ne raconte pas soixante ans de l’histoire du monde, mais les grandes histoires du monde racontées par
Paris Match.
Vous intégrez aussi des scènes de fiction…
On a en effet reconstitué en décor le bureau du directeur légendaire, Roger Thérond, “l’œil” de Match, fonction occupée aujourd’hui par Olivier Royant. Une scène montre Thérond achetant des
photographies à un vendeur d’agence : il s’agit de l’exploit de Maurice Herzog sur l’Annapurna. Nous avons également reconstitué la salle des photographes. On en voit certains nettoyer ou réparer
leur appareil photo, d’autres qui jouent au poker, ou rédigent leur note de frais… Le décor du café La Belle Ferronnière, à l’époque où le magazine trônait près des Champs-Elysées, a lui aussi
été refait. On voit des membres de l’équipe y apprendre le décès à Budapest de leur ami Pedrazzini ou regarder les premiers pas de l’homme sur la Lune.
Comment voyez-vous le journal évoluer depuis soixante ans ?
Dans le fond, il n’a pas tellement changé. On retrouve la même constante : la couverture ne reflète pas ce que l’on peut lire dans les pages intérieures, qui contredisent souvent l’image “people”
du magazine.
"Passer du conflitlibyen à Pierre Perret"
Que vous ont appris les journalistes que vous avez interrogés ?
D’abord, depuis toujours, Match a travaillé avec des gens de très grande qualité, écrivains ou photographes de renom. La marque de fabrique, c’est de savoir passer d’un reportage sur la famille
de Monaco à un pays en guerre. L’autre clé, c’est l’émotion. Les événements sont regardés à travers les hommes et les femmes qui les font ou les subissent avec une réelle exigence d’écriture.
Enfin, la recherche du scoop, notamment photographique, est permanente depuis soixante ans. Nombre de photographes m’ont raconté les semaines et parfois même les mois de traque pour obtenir “le”
scoop sur une star ou une affaire criminelle. Je me suis rendu compte que les journalistes pouvaient rentrer du conflit libyen puis photographier Pierre Perret, comme Alvaro Canovas. Se faire
arrêter en Afghanistan en passant la frontière avec une burqa puis raconter l’histoire du village préféré des Français, comme Michel Peyrard.
Qu’avez-vous découvert au fil des mois ?
Que Grace Kelly avait été présentée au prince Rainier par un journaliste de Match. Que Vadim, photographe, avait épousé Bardot qui dormait sur un canapé aux Champs-Elysées les soirs de bouclage.
Cette proximité d’alors avec la quasi-totalité des stars françaises est inimaginable aujourd’hui, avec cette armada d’agents et d’attachés de presse qui font qu’il est plus difficile d’obtenir de
la fraîcheur dans ces sujets. J’ai découvert enfin le service du rewriting, petite usine d’écriture dont les membres rédigent les “chapôs” des reportages et les légendes photos qui les
accompagnent, ce qui donne une unité à l’ensemble des pages. Au fil des ans, ce service a fourmillé d’écrivains qui donnaient forme aux informations recueillies par les reporters sur les grands
faits divers du siècle