1968 dans le rétro : L'Express du 1er janvier, numéro 863 avec Brigitte Bardot !
Pour le 1er numéro de l'année 1968, L'Express s'intéresse aux Français, à ce qu'on n'appelait pas encore la high-tech aux Etats-Unis, au chômage, à la police, à Brigitte Bardot et à mode rétro.
Numéro du 1er janvier 1968
- Retour vers le futur
- La révolution technologique aux Etats-Unis
- La mode est aux années 30
- Le chômage en France
- La police à l'aube de mai 68
- Avec BB et la télé couleur, l'année débute bien
- La minute des réclames
Dans ce numéro inaugural de l'année 1968, Françoise Giroud commente une enquête de "l'I.F.O.P" sur l'image que les Français se faisaient de l'an 2000:
"Une grande majorité de Français pensent que les conséquences seront favorables sur le confort matériel (88%), ce qui va de soi, mais aussi sur la vie intellectuelle (71%), la liberté individuelle (55%), les relations entre les hommes et les femmes (55%). [...] 72% des Français indiquent qu'ils ne voient pas pour autant le problème du chômage définitivement résolu. Il y a également une majorité pour penser que ne sera pas résolu le problème des logements insuffisants (52%), des difficultés de circulation (70%) et du bruit (74%)."
Comment ne pas sourire devant la vision du chômage, qui ne sera pas "définitivement" terrassé en 2000? Quant aux grandes abstractions, telles que les progrès de "la vie intellectuelle", difficile en 2018 de ne pas songer (objectivement et sans déclinisme) à toutes les grandes plumes qui faisaient de la France l'une des places-fortes de l'intelligentsia mondiale en 1968.
Sur le visuel de Une, le visage du président américain Lyndon Johnson, entrelardé d'images anxiogènes mêlant guerre du Vietnam et émeutes raciales, une fusée de la Nasa et une jeune fumeuse. Mais le ton du long reportage aux Etats-Unis, qui justifie cette couverture, est beaucoup plus optimiste, mettant l'accent sur les promesses des révolutions technologiques:

"Drapée dans les bandelettes magnétiques de la science nouvelle, l'Amérique est entrée dans l'âge 'technétronique'. [...] A propos de ses inventions, Thomas Edison avait coutume de dire qu'elles représentaient '1% d'inspiration et 99% de transpiration'.
L'ordinateur, en quelque sorte, 'libère' le chercheur, l'économiste, les gestionnaires d'une entreprise, en supprimant la plus grande partie de ces '99%'. Il apporte d'abord aux administrateurs une information complète et effectue les opérations qu'on lui demande sur cette information. La célérité dans l'obtention du renseignement a été encore accrue par l'usage du 'teleprocessing', qui permet de relier chaque dépôt, chaque usine, par telex, à l'ordinateur central. Ce dernier constitue une véritable banque d'informations, mises à jour à chaque instant. Pour les entreprises plus modestes, qui ne peuvent s'offrir le luxe du 'teleprocessing', il existe une autre formule: le 'time sharing'. Elle revient à partager un ordinateur à plusieurs, sur abonnement."
Le journaliste Michel Salomon ne se laisse pas pour autant éblouir et revient sur les problèmes sociaux, ethniques et sociétaux qu'affrontent la première puissance mondiale. Il dessine un portrait assez critique de la contre-culture, qui trouvera quelques mois plus tard une résonance en France:
"Tout est ambigu, comme tout est ambigu dans la puissance et dans la richesse [...] Et l'ambiguïté se situe, bien entendu, au coeur même de la protestation. M. Henri Lefebvre, à qui la pensée marxiste contemporaine doit beaucoup, a analysé pour 'L'Express' le phénomène 'hippie': 'Dire que les hippies protestent contre la consommation, commente-t-il, est dérisoire. Ils en profitent et ils en vivent. Ce sont, plus justement, des ratés de la consommation... Au lieu d'utiliser Che Guevara entant que leader politique, ils l'utilisent comme 'poster' (affiche). Ils digèrent ainsi une révolution, une doctrine structurée et ils en font un bien de consommation'"
Et de conclure: "Tous les pays industriels avancés voient se creuser le fossé entre les facultés créatrices de la science et de l'industrie et d'autre part la sclérose des hommes politiques classiques."
Contrastant avec cette couverture internationale prospective, un article s'amuse d'un phénomène de mode régressif, "La folie des années 30". Preuve que le vintage et le recyclage ne sont pas l'apanage de nos années 2000... Patrick Thévenon en recense tous les symptomes, depuis la déco jusqu'à Bonnie and Clyde, en passant par la longueur des jupes et les expositions:
"Courrèges annonce une collection de printemps cachant le genou. 'En tout cas, plus de minijupe', a signifié Brigitte Bardot à Marc Bohan, qui suivra probablement cet ordre."
Le chroniqueur termine sur une note plus sombre:
"Les années 30 ont annoncé l'holocauste de plusieurs millions d'hommes. 1930 en 1968 n'annoncera qu'une opération commerciale. Il sera temps, si elle réussit, de découvrir pourquoi, même sur les jeunes gens, le passé exerce plus de fascination que l'avenir."
Du fait de la pyramide des âges, en 1968 la France regardait beaucoup moins vers le passé que vers l'avenir. Né en mai 53, L'Express a tout juste quinze ans et un lectorat jeune, comme s'en réjouit sa rédactrice en chef: "Le nombre de lecteurs du journal a augmenté de 48% en un an", soit un total de un million et demi de lecteurs, dont la moitié a moins de 34 ans et le quart moins de 24 ans.

Enquêtant sur la guerre des polices (sujet décidément intemporel), Jacques Derogy en tire une infographie éloquente sur ces fonctionnaires qui vont jouer un rôle si important dans les événements de Mai: 68 400 policiers en tenue, dont 22 300 dans la police municipale de Paris et 13 156 dans les CRS. Les policiers en civil sont au nombre 14 400.

"Les Français qui ont la télévision ont de la chance. Ils sont nombreux. Les Français qui ont la télévision en couleur ont encore plus de chance. Ils sont rares. Entre l'enterrement de la vieille année, le 31 décembre, à 20 heures, par le général de Gaulle, et le baptême de l'année nouvelle, le 1er janvier à 20 heures, par Brigitte Bardot, l'O.R.T.F. n'a pas lésiné sur les vedettes.

Une Brigitte Bardot somptueuse, radieuse, dansante, chantante, touchante aussi. Qui, pendant 55 minutes et 14 chansons, savoure une liberté reconquise, affirme sa joie d'être belle, vivante, aimée; ses métamorphoses fugaces, poétisées par une caméra kaléidoscope, l'entraînent de Saint-Tropez à Carnaby Street. Cambrée, grimée, déchaînée, elle présente d'elle-même une éblouissante carte d'échantillons: 'Regardez-moi, je suis hippie, je suis Bonnie, je suis nue ou presque, je suis heureuse. Moi, finie? Vous voulez rire!'" (Danièle Heymann)