Conversation au téléphone avec BB, légende au feu intact et défenderesse acharnée des animaux, à l’occasion de la sortie d’un documentaire événement.
Brigitte Bardot est la femme qui a fait trembler la terre. La plus grosse secousse sismique sur l’échelle de Richter de la célébrité. Star planétaire à 22 ans à peine grâce au scandaleux Et Dieu créa la femme dans lequel elle ne joue pas mais est – libre, renversante de beauté, insouciante, tressaillante, le désir en alerte. Le film de Vadim décapsulait en un pschitt éternel le mythe Bardot : moue boudeuse, trempe sauvage, chaloupe élastique et crinière blonde à la diable. Plusieurs chefs-d’œuvre en bandoulière, preuve s’il en fallait de son talent évident d’actrice (Vie privée, La Vérité, Le Mépris, Viva Maria…), Brigitte Bardot est devenue un phénomène culturel et sociétal qui tient en deux lettres : BB. C’est à croire que l’expression sex-symbol a été inventée pour elle. Pourtant, elle confiait il y a quelques années, au téléphone déjà, que jeune, elle se trouvait “moche” et qu’elle avait un mal fou à sortir de chez elle de peur de ne pas être à la hauteur de celle qu’on attendait. Tsunami médiatique : à l’aube de ses 40 ans, BB a définitivement tourné le dos au cinéma, fui les flashs et les regards adhésifs pour consacrer sa vie, sa fougue, sa fortune et sa notoriété à la protection des animaux. Défenderesse sincère et acharnée des bêtes, s’éloignant un peu plus chaque jour du monde des hommes qu’elle ne comprend plus, BB ne se montre plus, parle peu, réputée pour son franc-parler au galop qui parfois lui joue des tours… Alors que sort sur les écrans Bardot, un documentaire sans filtre d’Alain Berliner, auquel elle a exceptionnellement accepté de participer, et émaillé des témoignages, entre autres, de Claude Lelouch, Paul Watson ou Naomi Campbell, la légende de 90 ans, le feu intérieur intact, a bien voulu décrocher son téléphone.
H.B. : Bonjour Brigitte, merci d’appeler. Comment allez-vous ?
B.B. : Je vais très bien. Et vous ?
H.B. : Très heureux de vous entendre. Où êtes-vous ?
B.B. : Je suis dans mon bureau où je travaille tous les jours pour la fondation, dans ma ferme de La Garrigue. C’est mon petit paradis, rustique et confortable, rien de luxueux, tout au bout du cap de Saint-Tropez.
H.B. : Pourquoi n’avez-vous jamais quitté Saint-Tropez ?
B.B. : Quand j’ai acheté La Madrague, j’étais folle de ce petit village de pêcheurs, de ses petites boutiques rigolotes… Il a tellement changé depuis, je n’y mets plus les pieds. C’est mon village d’adoption. Et puis j’y ai ma maison. C’est important une maison, vous savez…
H.B. : Vous pouvez me décrire ce que vous avez devant les yeux ?
B.B. : Mon bureau, une grande table avec plein de fourbi dessus, un bordel terrible, je ne m’y retrouve pas moi-même. J’ai face à moi une grande baie vitrée qui donne sur le large et la nature tout autour. Au moment où l’on se parle, je vois une ponette et une jument se régaler avec l’herbe de la prairie.
H.B. : Combien d’animaux vivent à vos côtés ?
B.B. : Une cinquantaine. Des chiens, des chats, des moutons, des chèvres, des cochons, des poules, des canards…
H.B. : Je me souviens que vous aviez un perroquet.
B.B. : Plus de perroquet pour le quart d’heure. Il s’est fait la valise !
H.B. : Brigitte, alors que vous avez définitivement quitté l’écran il y a plus de cinquante ans et que vous êtes très rare dans les médias, vous participez à un documentaire qui vous est consacré et qui sort ce mois-ci. Pourquoi avez-vous accepté ?
B.B. : Tout simplement parce que ce documentaire met beaucoup en lumière ma fondation et mon combat contre la maltraitance des animaux. À partir du moment où un projet me permet de leur venir un peu plus en aide, je dis oui.
H.B. : Dans la bande-annonce, on vous entend dire : “Je me fous qu’on se souvienne de moi mais je voudrais qu’on se souvienne du respect qu’on doit aux animaux.” Ils ont donné un sens à votre vie ?
B.B. : Ils ont donné un sens à ma survie. C’est comme une réincarnation. Sans le secours des animaux, je n’aurais jamais pu survivre. Je sauve la vie de ceux qui ont sauvé la mienne.
H.B. : Que vous apportent-ils ?
B.B. : La pureté des sentiments, un amour total, sans frontières et sans fin. La fidélité, la reconnaissance, la vérité, le calme, la douceur, la gentillesse… Contrairement aux hommes, ils ne sont pas intéressés. Vous connaissez beaucoup de personnes qui ne soient pas intéressées ? Tout le monde l’est.
H.B. : Vous avez créé votre fondation en 1986, elle a été reconnue d’utilité publique en 1992, avez-vous le sentiment que les gens sont davantage sensibilisés à la cause animale ?
B.B. : Dieu merci, oui ! Et je le constate notamment dans le courrier que je reçois. Beaucoup d’enfants m’écrivent. Les enfants, c’est le monde de demain. Ce sont eux, s’il n’est pas trop tard, qui réagiront et rétabliront les choses.
H.B. : Avez-vous le sentiment d’avoir été soutenue dans votre action par le gouvernement français ?
B.B. : Bonne question. Et la réponse est : pas du tout ! Mon gouvernement est resté sourd aux différents cris d’alarme que j’ai pu lancer. Et je n’ai rien obtenu de lui. J’ai eu le soutien parfois de gouvernements étrangers, jamais du gouvernement français.
H.B. : Jamais un président de la République ne vous a tendu la main ?
B.B. : Giscard. Je l’avais appelé au secours quand j’étais allée au Canada en 1977 pour me battre contre le massacre des bébés phoques. J’ai voulu secouer l’opinion publique mondiale face à cette horreur et je me suis fait détester. Croyez-moi, il m’a fallu du courage. Quoi qu’il en soit, Giscard a pris la décision d’interdire l’importation des fourrures de bébés phoques en France.
H.B. : Dans Bardot, le documentaire, Claude Lelouch dit : “Brigitte n’avait peur de rien.”
B.B. : Pourquoi parler au passé ? Encore aujourd’hui, je n’ai peur de rien ! S’il m’arrive parfois d’être frôlée par la peur, c’est celle de ne pas arriver au bout de la mission que je me suis donnée.
“‘Le Mépris‘ n’est pas un
grand souvenir. Pour
beaucoup c’est un film
majeur, tant mieux, moi, je
n’en pense rien…”
H.B. : À l’instant où l’on se parle, il est question que le film soit projeté lors du Festival de Cannes. Quel souvenir gardez-vous de votre dernière montée des marches, en 1967 ? Je me rappelle des mots de Gunter Sachs, votre compagnon à l’époque, “Surtout ne me l’écrasez pas !”
B.B. : C’était la foire d’empoigne, une cohue indescriptible. Là, pour être sincère, j’ai eu peur. C’était une marée humaine, je n’avais jamais vu une hystérie pareille. Les gendarmes grimpaient sur les palmiers, un journaliste de Paris Match a été sérieusement blessé. Je ne pouvais plus vivre comme ça, c’était un calvaire. Vous n’imaginez pas comme la célébrité était écrasante. C’est en partie pour ça que j’ai opté pour la solitude et le silence. Mais tout ça, c’est fini.
H.B. : Je sais que vous n’aimez plus trop parler de cinéma, mais considérez-vous toujours que La Vérité est votre meilleur film ?
B.B. : Ah oui, sans aucun doute.
H.B. : Pourquoi ?
B.B. : Parce que Clouzot a sorti de moi quelque chose de différent. Il prouvait que j’avais un autre jeu possible, que si j’étais connue pour être virevoltante, papillonnante, je pouvais aussi être tragique. Le tournage a été éprouvant, c’était pas de la tarte, mais il en reste un film extraordinaire.
H.B. : Il vous a droguée pour la scène du tribunal ?
B.B. : Ah bah non, pas pour la scène du tribunal. Là, j’avais plutôt intérêt à être très réveillée pour tout lâcher. Ce que j’ai fait d’ailleurs. Non, il a mis des somnifères dans mon verre à la place de l’aspirine pour une scène où je devais dormir. Il a trouvé malin de me droguer pour que ça fasse plus vrai.
H.B. : En revanche, il y a quelques années, vous m’aviez dit ne pas garder un grand souvenir de Le Mépris.
B.B. : Non, en effet, ce n’est pas un grand souvenir. Pour beaucoup c’est un film majeur, tant mieux, moi, je n’en pense rien…
H.B. : Vous revoyez vos films ?
B.B. : Non, ils ne repassent pas à la télévision. Et quand bien même, je ne suis pas sûre que je les regarderais.
“Avec Alain Delon on se
comprenait sur plein
d’aspects, on se parlait
souvent au téléphone, on
échangeait beaucoup. Il me
manque.”
H.B. : Vous semblez avoir été très affectée par la mort d’Alain Delon. Qu’est-ce qui vous rapprochait tous les deux au-delà de votre statut de légende vivante ?
B.B. : On se comprenait sur plein d’aspects, on se parlait souvent au téléphone, on échangeait beaucoup. On avait les mêmes idées sur le sens de la vie, ce que devient la France, le même goût de la solitude. Bien que lui ait été très enfermé alors que moi je sors quand j’en ai envie… Sa disparition me rend très triste. Il me manque.
H.B. : Qu’est-ce qui vous rend heureuse aujourd’hui ?
B.B. : Demandez-moi plutôt ce qui me rend malheureuse. Et je vous répondrai que je ne me ferai jamais à l’idée de voir encore et toujours la souffrance dans les yeux des animaux, de les savoir sacrifiés dans des conditions épouvantables. C’est un crève-cœur.
H.B. : Paulo Coelho a dit que le bon combat est celui engagé parce que notre cœur le demande. Vous êtes d’accord avec ça ?
B.B. : Absolument. Cette fondation est ma raison de vivre.
H.B. : Avez-vous des regrets ?
B.B. : Ni remords ni regrets.
H.B. : Imaginez un dîner idéal où vous pouvez vous entourer de trois personnes, connues ou anonymes, vivantes ou disparues. Qui inviteriez-vous ?
B.B. : C’est une drôle de question… Donald Trump pour un tête-à-tête.
H.B. : C’est une drôle de réponse. Et c’est de la chute ! Merci Brigitte. Je me permets de vous embrasser.
B.B. : C’est moi qui vous embrasse.
Bardot, d’Alain Berliner, avec la participation de Brigitte Bardot, Claude Lelouch, Naomi Campbell, Paul Watson…