Va-t-on cuisiner Brigitte Bardot à la sauce woke ?
Dans sa récente chronique pour Parleur évoquant le livre de Jean-François Braunstein La philosophie devenue folleDidier Desrimais affirme ou du moins suggère que l’antispécisme est une forme de wokisme[1]. Disons-le clairement : cette affirmation n’a aucun fondement, mais Didier Desrimais et Jean-François Braunstein ont tout à fait raison de s’interroger sur les déviations passées et futures de l’anti-espèce. le cisme, comme toute autre idéologie.
On peut très bien détester le wokisme et être antispéciste, si l’on définit l’antispécisme comme le fait de ne pas nuire aux intérêts fondamentaux des animaux en partant du seul critère qu’ils appartiennent à une autre espèce – je dis « intérêts animaux », ce qui signifie qu’ils sont sensibles et dotés de conscience. Tout le monde comprend qu’il y a une différence entre un moucheron et un cheval, j’ose le dire, et on ne rejettera pas la protection due au second en citant simplement l’exemple du premier.
L’antispécisme ne doit donc pas être considéré, en principe, comme un « une philosophie devenue folle ». Se soucier des animaux n’est pas nouveau, et certainement pas à cause de l’antispécisme de Peter Singer. Il suffit de rappeler, pour parler de la seule civilisation judéo-chrétienne, qu’en Eden Adam et Ève ne mangeaient pas de viande. Elle est souvent ignorée, mais elle a donné lieu à une «lecture végétarienne du christianisme»pour citer Olivier Christin et Guillaume Alonge dans leur belle étude Adam et Eve, paradis, viande et légumesdont le lecteur peut trouver une chronique en ligne par votre serviteur[2]. Pour preuve, l’ouvrage De l’abstinentia carnis du futur cardinal Silvio Antoniano au XVIe siècle. Certes, il s’agissait moins de se soucier des animaux que de retrouver un idéal de pureté et d’humilité. Mais croyez-moi, les antispécistes – du moins ceux d’entre eux qui se soucient sincèrement des animaux – seraient très satisfaits de la fin des abattoirs, même si elle était motivée par autre chose que leur idéologie.
Quand je parle de sincérité, je veux dire que l’antispécisme peut être aussi bien un moyen de défense des animaux qu’une posture idéologique vulgaire. Ou un simple jeu intellectuel, susceptible de sombrer dans les délires auxquels l’université est habituée – ce que dénoncent avec brio Didier Desrimais et Jean-François Braunstein. Mais aura-t-on envie de revenir à la hiérarchie des races parce que l’antiracisme se transforme désormais en wokisme le plus grotesque ? Ou priver les femmes du droit de vote à cause du néoféminisme ? Non, alors s’il vous plaît, pas de double standard avec l’antispécisme. Ce n’est pas l’antispécisme en lui-même qu’il faut condamner mais, comme l’antiracisme, ses excès. Refuser de torturer ou de tuer des animaux n’implique pas d’accepter la zoophilie, de vouloir épouser son chat ou toute autre proposition venant d’esprits à la dérive.
Ne pas faire cette distinction cruciale est non seulement un double standard, mais c’est aussi une grave erreur stratégique de la droite : parce que le fil est gros et qu’il n’échappe à personne sauf derrière lui. L’épouvantail de l’antispécisme est la cause animale que certains cherchent à diaboliser, par exemple en assimilant au wokisme, de manière bassement opportuniste, la lutte contre la tauromachie ou contre la chasse. Ce sont alors nos concitoyens, dont la grande majorité est sympathique à cette cause, que l’on veut couper de la droite. On ne le répétera jamais assez, tout comme l’écologie, la cause animale n’est pas essentiellement de gauche, et encore moins un avatar du wokisme.