Libre, sensuelle, insolente, consacrée en Marianne, canonisée par Vadim, Gainsbourg, Godard, Clouzot… Elle est la star absolue. Sex-symbol puis ambassadrice des animaux, ce trésor national qui
fête ses 75 ans inspire toujours d’incandescentes passions. En cadeaux d’anniversaire : l’exposition-événement (1) à Boulogne-Billancourt et le livre de l’écrivain-journaliste Henry-Jean Servat
(2), qui l’ a aussi débusquée le temps d’une conversation à… Saint-Tropez.
« Le public m'a toujours soutenue et aimée »
(2/5)
Vous êtes donc consciente de l’aide essentielle que vous a apportée le cinéma pour en arriver là ?
Bien sûr. Le cinéma m’a aidée à y arriver. Mais c’est ensuite l’amour des animaux qui m’a maintenue en vie. Souvent, je réalise que si je ne m’étais pas occupée d’animaux, je me serais foutue
en l’air, comme l’ont fait et Marilyn et Romy.
Il y a encore et toujours des gens qui vous critiquent ?
Ça, je m’en fiche… pour ne pas dire autre chose. S’il y a des gens qui ne m’aiment pas ou qui se moquent, moi, je me sens responsable de milliers, de milliers de petites vies que je prends en
charge. Et je sais que des milliers de gens, en France ou de par le monde, m’envoient leur force, car je reçois des lettres de partout – du Japon, du Brésil et de quantité d’autres pays. Cela
me tient et cela m’empêche de tomber. Je peux même dire que cet amour des gens va en grandissant. Le public m’a toujours soutenue et aimée. Et j’en ai bien besoin, tellement j’ai été salie. Et
tellement j’ai souffert d’un acharnement qui s’est exercé contre moi.
Vous avez quand même pris des positions radicales et excessives…
Peut-être. Mais je n’ai jamais pris de positions politiques. Je n’ai jamais fait partie d’un parti. Moi, je ne suis que d’un seul parti, celui des animaux, des animaux martyrisés, méprisés,
battus, torturés. Je déteste les gens qui maltraitent les animaux. Qui les mangent et qui ne sont même pas foutus de respecter ce qu’ils vont avaler et qu’ils vont se mettre dans le corps.
Lorsque j’étais jeune et belle – je n’avais même pas 28 ans en 1962, je suis allée à la télévision pour protester contre les conditions d’abattage des animaux de boucherie. Vingt-sept années
plus tard, on pratique toujours en France un abattage rituel qui est le même qu’au Moyen Âge, aussi barbare et aussi cruel. Et je ne comprends pas que les dirigeants de mon pays ne parviennent
pas à imposer un étourdissement préalable à ces malheureux animaux égorgés avant une longue et lente agonie.
« Je sais que mon combat est juste »
(3/5)
Sur cette histoire-là, vous êtes montée au créneau avec véhémence et violence !
Parce que vous ne croyez pas qu’il s’agit là d’un traitement inhumain, véhément et violent ? Je sais que mon combat est juste, et, malheureusement pour moi et heureusement pour les animaux, je
dis ce dont j’ai envie et ce qu’il faut dire, avec mon intégrité et ma franchise. Clairement, ce genre de tuerie m’écœure.
Vous vivez au milieu d’horreurs difficilement racontables…
Je passe mon temps, à travers ce que je lis, ce que je vois, ce que j’entends, à vivre dans la douleur, dans le sang, dans la mort. Je finis par en être lasse et écœurée, je viens de vous le
dire, et mes nerfs parfois craquent. Je ne supporte pas que les êtres humains, soi-disant mes semblables, se foutent de la souffrance animale.
Est-ce à dire que vous vous désintéressez des misères humaines ?
Je sais qu’il y a des imbéciles qui ne comprennent rien et qui me le reprochent, comme si les gens avaient un cœur pour aimer les animaux et un cœur pour aimer les hommes. J’aime tout ce qui
vit et tout ce qui souffre. J’ai choisi mon combat, et je n’empêche personne de choisir le sien, différent du mien. Donc, à chacun son combat.
Étiez-vous consciente, au temps de votre gloire cinématographique, de ce que vous viviez et que vous deviendriez, plus tard, une femme engagée dans de tels combats ?
J’aimais déjà les animaux, puisque, gamine, je voulais vivre dans une ferme, entourée d’animaux sauvés de la maladie et de la mort. Cela m’a toujours occupée et préoccupée. Ensuite, pour ce qui
était de mon avenir, je n’étais consciente de rien du tout. Je faisais ce que j’avais envie de faire, j’étais ce que j’avais envie d’être. Je ne faisais pas les choses exprès. Mais je savais
que je voulais faire quelque chose de ma vie, ne pas me contenter de réussir dans la vie mais, surtout, réussir ma vie.
« Je ne suis pas comédienne pour un rond »
(4/5)
En attendant cette réussite de vie, pourquoi cette gloire est tombée sur vous et pas sur une autre fille ?
Je ne me suis jamais posé la question. La chance ou le destin ont fait que, à un certain moment, j’ai été ce que j’ai été au moment où il fallait l’être et où je ne le cherchais pas. C’est
tout. Je n’avais rien demandé. Je ne cherchais pas à obtenir la gloire à tout prix.
Quand vous pensez à cette époque de votre vie, éprouvez-vous des remords ou des regrets ?
Je ne pense pas beaucoup à cette période et je ne m’occupe pas du passé. Je suis plus tournée vers l’avenir… si, quand on a bientôt 75 ans, on peut encore se tourner vers l’avenir. Je ne me
pose donc pas trop de questions au sujet d’histoires anciennes. Je ne m’en posais pas hier, et je m’en pose encore moins aujourd’hui. Mais je sais, avec certitude, que je n’ai pas à rougir de
ce que j’ai fait. Mon grand-père disait : « Vos actes vous suivent ! » Eh bien, ils me suivent, et je conserve un grand sens du bien. Tout ce que je dis ou fais n’existe qu’en fonction de la
cause animale. Je pense n’avoir jamais rien fait d’autre.
Quel regard portez-vous sur votre passé de comédienne ?
Je n’étais pas comédienne. Je ne suis pas comédienne pour un rond. Je jouais simplement ce qu’on me demandait d’interpréter. Et je souhaitais bien le faire. Je donnais donc le meilleur de
moi-même, parfois jusqu’à l’épuisement physique et moral, et c’est bien pour ça que j’ai tenté de me foutre en l’air après avoir tourné La Vérité.
Précisément, quand vous voyez vos films, que pensez-vous de la fille sur l’écran ?
D’abord, je ne regarde pas mes films. Je ne veux pas les regarder, ou alors, si je les vois, c’est par hasard. Cela ne me fait pas plaisir, j’ai peu de goût pour la nostalgie et pour les
souvenirs, c’est trop négatif. De toute façon, je ne me souviens plus des histoires.
« Les Années insouciance »
(5/5)
Il y a quand même actuellement un motif de bonheur ou de satisfaction avec cette exposition qui vous est consacrée et qui restera pendant quatre mois à Boulogne-Billancourt avant
qu’elle fasse le tour du monde…
Je ne dirais pas qu’il s’agit de bonheur ou de satisfaction, mais de fierté. Je suis, en effet, très fière de cette exposition que j’ai approuvée, mais que je n’ai pas sollicitée. Pareil
hommage n’est arrivé à personne.
Vous pouvez le dire. À personne. Pas même à Marilyn…
J’ai connu, ces temps derniers, une assez longue traversée du désert au long de laquelle j’ai été boycottée et maltraitée. Et je pense que c’était une injustice de m’avoir ainsi mise au ban de
tout. S’il y a donc, aujourd’hui, une autre façon de me reconsidérer, tant mieux. Et je ne vais pas m’en plaindre. Car la reconnaissance et la renaissance qu’implique cette exposition, d’une
certaine manière – je le dis sans aucune prétention –, je les mérite.
Cette exposition s’appelle Les Années insouciance, mais elle aurait pu s’appeler « Les Années scandaleuses ». Comment réagissez-vous, des décennies plus tard, au qualificatif
de « scandaleuse » dont vous avez été et restez affublée ?
J’ai simplement été ce que j’avais envie d’être. C’est-à-dire être moi, franche, claire, nette. Je n’étais pas « scandaleuse ». Je n’étais que naturelle et vraie. C’est pourquoi je peux vous
annoncer que la visite de cette exposition me fera fondre en larmes – pourquoi le cacher ?
On constatera, en visitant cette exposition, que vous avez passé votre vie à aller contre le qu’en-dira-t-on et, en fait, à changer la société. Vous êtes maintenant un précis d’histoire
de France et un manuel de sociologie à vous toute seule, plus que n’importe quelle actrice ou n’importe quel autre politicien…
Si j’ai chamboulé les codes de la société, si j’ai bousculé les choses et les gens, si je suis allée à l’encontre des règles établies par les bien-pensants, cela ne faisait pas partie de ce que
j’avais envie de faire. C’était dans l’air du temps. Je n’ai jamais fait semblant. Je ne regrette rien. J’ai été là. Je le suis encore. Et si donc, aujourd’hui, se profile pour moi une sorte de
retour ou de recours en grâce, tant mieux.
(1) Brigitte Bardot, les années « insouciance », du 28 septembre 2009 au 31 janvier 2010, MA 30-Espace Landowski à Boulogne-Billancourt. Henry-Jean Servat est le commissaire
d’exposition.
Rens. sur www.expobrigittebardot.com.
(2) Brigitte Bardot, la légende (éd. Hors-Collection).
Source : http://madame.lefigaro.fr/culture/enquetes/618-brigitte-bardot-bardot
Bruno Ricard