C’est Vadim qui avait organisé leur première rencontre. S’il faut l’en croire, peu engageante ! A peine Jean Louis Trintignant s’était-il éloigné de portée de voix, que BB s’était exclamée, boudeuse et dépitée « Il est tarte ! Je ne pourrai jamais faire croire que je suis amoureuse de ce type !» De son côté, Trintignant – il l’avouera plus tard – pensait tout bas «c’est vraiment une petite conne».
Mal barré pour un couple censé jouer des scènes d’amour brûlantes! Mais Vadim avait insisté. De la passion, voilà ce qu’il attendait de ses deux acteurs. Une sensualité torride, que ça crève l’écran! Ce qui s’appelle tenter le diable. Il allait être servi bien au-delà de ses espérances. Nous sommes à Saint-Tropez, en mai 1956, au début du tournage de Et Dieu créa la femme…
A l’époque, le port varois n’est pas encore la Mecque de la jet set, c’est juste un petit eden sauvage et paradisiaque, qui fleure bon le soleil du Sud, la brise de mer, la liberté. A l’image de Brigitte Bardot. La starlette de 22 ans – qui a déjà tourné dans 16 films – vient encore d’affoler le Festival de Cannes. Son mari, Roger Plemiannikoff – dit Vadim – a de grandes ambitions pour elle.
A 28 ans, descendant du prince Igor Nicolaewitch et de Gengis Khan, ce dandy juif ukrainien au style désinvolte veut faire de son premier film un hymne à la femme, sa femme. Il l’aime depuis sept ans, l’a épousée depuis quatre. Et il est bien placé pour savoir que cette jeune bourgeoise élevée au cœur du XVI ème, est une impulsive, à la liberté radieuse et sans tabou, et qui n’a pas le tempérament textile. Au cours de leur premier rendez-vous clandestin dans un meublé, elle s’est mise nue à la fenêtre pour crier la joie de son dépucelage aux passants.
« En révolte contre le milieu et la morale de ses parents, douée pour l’amour sans l’avoir appris, capable d’humour et d’un grand bon sens, elle avait tout du petit génie.» écrira t’il plus tard. Ado, Brigitte a tout tenté pour l’avoir. Allant jusqu'à braver le révolver brandi par Monsieur Bardot père contre le prétendant slave ( «ma fille, épouser un saltimbanque ? jamais !»), ou tentant de se suicider au gaz, la tête dans le four, quand on lui a interdit de le voir (sa sœur, Mijanou, l’a retrouvée dans le coma, in extremis).
Vadim est son premier homme, son Pygmalion, qui a guidé ses premiers pas dans des comédies légères et sucrées. Un Pygmalion qui, envoûté par la beauté magnétique de sa jeune femme, pressent en elle une bombe sexuelle prête à exploser. Là, sous le soleil de Saint Tropez, exactement. Où Brigitte est chez elle. Pour les deux mois de tournage, le couple s’est installé à l’hotel de l’Aïoli, chambre 3 ( maintenant 25 ), à quelques pas de la Miséricorde, la maison haute aux murs roses, résidence d’été des parents de l’actrice, où elle vient passer ses vacances.
L’ingénue a déjà commandé ses petites robes en Vichy rose chez Vachon sur le port, ses ballerines de danseuse à Rose Repetto, le modèle Cendrillon, qu’elle porte délacé pour qu’on entrevoit la naissance des orteils. C’est plus sexy. Vadim a eu l’idée du scénario en regardant Brigitte danser sauvagement dans une discothèque de Rome, la Casa del Orso, allumant tous les hommes à la ronde, ivre d’animalité. Elle sera donc Juliette Hardy, une jeune orpheline amoureuse de deux frères, et que courtise aussi un millionnaire de la Riviera, Eric Carradine, un homme élégant et cynique.
Au dernier moment , Raoul Lévy, le producteur de Vadim, a eu l’idée de ce rôle confié à Curd Jurgens, déjà sacré star internationale, pour conquérir une co-production en Eastmancolor avec la Columbia. Dans le film, digne d’un roman de gare, la belle Juliette est éprise d’Antoine, l’aîné des frères, un tombeur cynique – joué par Christian Marquand – qui ne fait que coucher avec elle.
Mais c’est le cadet, Michel – interprété par Jean Louis Trintignant – qu’elle épouse par dépit, touchée par la sincérité de sa passion. Dans la vie…dans la vie, Cupidon va darder ses flèches autrement ! Déjà marié à la future comédienne Stéphane Audran, Jean Louis Trintignant, à vingt cinq ans, est alors un jeune premier en pleine ascension.
Mais il échappe aux standards habituels. Pas très grand, extrêmement timide et réservé – « bloqué en dedans» dit-il lui même – son charme émane surtout de l’intensité et de la profondeur de son jeu. Natif du Sud, il a dû travailler pour effacer son accent méridional, mais ne se sent pas encore sûr de lui, blessé parfois par «l’étiquette de paysan» que lui collent certains critiques du Figaro. Bref, il irradie le mystère, la retenue. Et soudain, sa gaucherie, un peu butée, émeut Brigitte. Mieux, la trouble. Dès la première semaine de tournage, dans la baie des Caroubiers, Vadim l’a bousculée, décoiffée, en partie dénudée, en lui recommandant de ne pas jouer, d’être elle-même, dans un total strip-tease physique et psychologique («j’accouchais d’une star» dira-t’il pompeusement ).
Alors, elle donne tout. Avec l’amoralité insolente d’une Juliette qui ne possède que son corps – mais quel corps ! – et compte bien s’en servir. « Cette fille là est faite pour perdre les hommes » se lamente Carradine. Habillée d’un rien, se déshabillant pour un rien, le cul miraculeux, la démarche chaloupée, enflammant tout sur son passage, les hommes, un bateau de pêche, la pellicule. Psalmodiant en robe fourreau rouge, le port solaire, «moi, j’m’en fous, j’m’en contrefous !», la voix lascive, en tournant autour du frère aîné pour attiser son désir et se faire culbuter sur un capot de bagnole.
Ouvrant le drap dont elle s’est entourée pour offrir ses seins provocants au cadet -Trintignant, donc – avec son phrasé nunuche, un brin aristo, à la douceur si traînante qu’elle invite à l’abandon dans les draps. L’enivrant enfin de baisers qu’elle ne simule pas. Une vraie déesse de l’amour ! Et qui succombe. « A force d’être naturelle dans mes scènes d’amour avec Jean Louis, racontera t’elle dans ses mémoires Initiales BB, je finis tout naturellement par l’aimer. J’éprouvais pour lui une passion dévorante. Effacé, profond, attentif, sérieux, calme, puissant, timide, il était si différend, tellement mieux que moi !» Il aurait fallu être un saint de bois pour résister ! Jean Louis Trintignant s’éprend si bien qu’il en devient possessif, ne supportant pas de la rendre la nuit aux caresses d’un autre.
Tandis que les amants poursuivent hors champ leurs ébats, Vadim, trompé sous ses yeux et ses caméras, en est réduit à se consoler le soir, avec Christian Marquand, à l’Esquinade, une discothèque où Françoise Sagan viendra fêter ses vingt et un ans, le jour de l’été. Auréolée du scandale de Bonjour Tristesse, elle offre au cinéaste le refuge – en tout bien tout honneur – de sa propre maison, un peu plus haut, rue des Pêcheurs. «Trintignant jouait les amants tyranniques, racontera Vadim. Il voulait une preuve d’amour, un sacrifice, et menaça de ne plus revoir Brigitte si elle ne me quittait pas immédiatement. J’avais peur du dernier jour, du dernier plan, de la dernière minute de tournage.
Peur de la perdre tout à fait. » Jalousies, cris et chuchotements, frictions… Le tournage se poursuivra sous haute tension. «J’ai connu des moments un peu pénibles avec Vadim, dira Trintignant, parce qu’on a eu une « passation » de femme, voilà…Et je lui en ai un peu voulu. Après, quand je l’ai mieux connu, je me suis rendu compte que c’était un type merveilleux. Mais il était malheureux. On était rivaux. En plus, c’était lui qui avait fait BB, c’était sa chose, et elle lui a échappé.» Cette tension passionnelle éclatera dans toute sa splendeur dans la scène du mambo torride que danse BB en final – une scène d’anthologie, qui traverse toutes les générations.
Embrasée par son désir fou pour celui qu’elle appelle « Jean Lou », Bardot y swingue en justaucorps noir, jupe déboutonnée jusqu’à la taille, cuisses grandes ouvertes et pieds nus, attisant les musiciens cubains en se caressant, sur des rythmes latinos composés par Paul Misraki. Avant de se prendre deux paires de gifles cinglantes par son mari ( Trintignant ) qui vient d’apprendre ses coucheries avec son propre frère. Ah ! les vertiges de l’amour… Celui-là, pourtant, survivra encore près d’ un an au tournage. Rentrée à Paris, Brigitte quittera l’appartement où elle vivait avec Vadim pour acheter au 71, rue Paul Doumer un duplex avec terrasse, qui deviendra son nid d’amour avec Trintignant.
Mais dans la France prude et coincée de la IV ème République, le divorce défraie encore la chronique, la vie intime des deux amants s’étale dans les gazettes, un parfum de scandale flotte autour d’eux. A Noël, ils se réfugieront dans un cabanon sauvage, près de Cassis, pour y vivre une parenthèse idyllique, seuls au monde. Ce sera la dernière. «Je voudrais cultiver Bri-Bri » disait Trintignant. Il n’en aura pas le temps. Car la sortie du film Et Dieu créa la femme va les emporter dans une secousse tellurique. Brigitte croûle sous les propositions.
Pas de chance ! Le pauvre Trintignant appelé sous les drapeaux, se retrouve confiné à la morne vie des casernes, auprès de jeunes recrues gonflées de testostérone qui soudain phantasment sur son amoureuse. Aux Etats Unis – Vadim avait vu juste ! – ce sera l’hystérie. Très vite, le film dépasse au box office les Dix Commandements, les dollars pleuvent (4 millions), des évêques excommunient Bardot, les critiques la portent aux nues. En état de choc, la France, qui avait d’abord boudé le film, assiste à une fulgurante érection planétaire.
Le mythe BB (Bibi, disent les Américains) est né. Et avec lui, l’avénement de la liberté sexuelle de la femme. Loin de son Jean Lou, Brigitte enchaînera les films … et les amants ( dont Gilbert Bécaud ), jusqu’à ce qu’un jour, de guerre lasse, Trintignant la quitte, en se réfugiant chez les parents de Claude Berri, pour y soigner son chagrin. «J’ai aimé Jean Lou à la folie, écrira BB, je l’aimais comme je n’ai peut-être plus jamais aimé, mais je ne le savais pas, j’étais trop jeune».
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