Les souffrances des cobayes de plus en plus disséquées...
Des pistes alternatives aux expériences sur les animaux émergent et sont encouragées par la loi. Mais la transition tarde.
«Nous ne voulons pas être cette génération qui ressemblerait à celle qui a participé à la célèbre controverse de Valladolid où on se posait la question : "Est-ce que les Indiens ont une âme ?"» Cette phrase, entendue en octobre dans les locaux du Parlement européen à Paris, n’est pas sortie de la bouche d’un militant antispéciste radical, mais de celle du député européen Younous Omarjee (LFI). Le jeune élu introduit alors, au côté de son homologue Pascal Durand (EE-LV) une conférence intitulée «Comment accompagner la transition vers une recherche sans expérimentation animale ?» Cet objectif de remplacement total des animaux de labo par des méthodes substitutives est tout ce qu’il y a de plus officiel. Il est inscrit dans une directive européenne adoptée en 2010, qui assure que plus aucun animal vivant ne sera employé «dès que ce sera possible sur un plan scientifique» et qui a été transposée dans le droit français en 2013. En attendant, des millions d’animaux subissent chaque année des expériences. Souris (60 %), poissons (16 %), rats (9 %), lapins, volailles, et autres : 1,9 million de vertébrés et autres céphalopodes ont par exemple été utilisés en France en 2016, selon les derniers chiffres du ministère de la Recherche.
Alors que la validité même du modèle animal pour certaines recherches en santé humaine fait l’objet de débats, des spécialistes ont présenté leurs pistes de travail : solutions in vitro, organoïdes, microfluidiques, bio-impression, organes sur puces… Insuffisant aujourd’hui, assurent les tenants du modèle animal. Mais, ainsi que l’a pointé Laurence Parisot, actuelle administratrice de la fondation Brigitte Bardot, des actions peuvent être menées à «plus court terme» pour «mettre fin à la souffrance des animaux qui sont l’objet d’expérimentations». Sur le papier, la stratégie fixée par la directive est triple : rechercher et développer des méthodes alternatives, réduire le nombre d’animaux utilisés, et limiter les contraintes imposées aux cobayes. Les procédures doivent être autorisées par le ministère de la Recherche, qui s’appuie sur l’avis de comités d’éthique. «Aujourd’hui, la souffrance est prise au sérieux. Bien plus, soit dit en passant, que dans d’autres secteurs comme la gastronomie où on a le droit d’envoyer des animaux vivants dans l’eau bouillante, note le neurobiologiste Georges Chapouthier, directeur de recherche émérite au CNRS. Les chercheurs sont tenus de respecter des règles, et je dirais que pour une forte minorité d’entre eux la souffrance animale est un sujet important.»
Evaluation.Si la sensibilité des animaux est désormais scientifiquement et légalement établie, la définition et l’évaluation de leur souffrance reste un important sujet de controverse.
De la simple réaction à un stimuli (nociceptif) à la douleur voire à la souffrance qui implique une forme de conscience, la gradation est complexe. Chaque expérimentation fait l’objet d’une évaluation préalable lors de laquelle est annoncé le «niveau estimé de douleur». Ces expériences sont classées en quatre degrés de gravité selon «la douleur, la souffrance, l’angoisse» générées : légère (39 % des procédures), modérée, sévère (17 %) ou sans réveil (6 %). Dans ce dernier cas, l’animal qui a été anesthésié ne reprend pas conscience.
Sont par exemple considérés comme «légères» des «biopsies de l’oreille et de la queue», l’«implantation sous-cutanée non chirurgicale de pompes miniatures», le confinement pendant moins de vingt-quatre heures… Dans la catégorie «modérée» : des actes de chirurgie sous anesthésie comme «thoracotomie, craniotomie […] transplantation d’organes avec gestion du rejet». Les procédures «sévères» doivent, elles, faire l’objet d’une appréciation rétrospective, et renvoient à «une douleur, une souffrance ou une angoisse intense», ou «modérée» mais «de longue durée». On parle là par exemple de «chocs électriques auxquels l’animal ne peut échapper», d’un «stress d’immobilisation en vue de provoquer des ulcères gastriques ou une défaillance cardiaque chez le rat» ou d’«essais de toxicité dont le point limite est la mort».
Contravention.Au quotidien, les scientifiques fixent la marche à suivre au moment où la douleur doit être arrêtée ou diminuée : arrêt du processus, traitements destinés à réduire la douleur ou euthanasie si le bien-être futur des animaux est compromis. La directive précise néanmoins qu’une procédure ne doit pas être exécutée «si elle implique une douleur, une souffrance ou une angoisse intense susceptible de se prolonger sans rémission possible». Théoriquement, les manquements aux consignes peuvent être détectés par des contrôles et la directive réclame des peines «dissuasives». Dans les faits, le non-respect des règles peut entraîner la fermeture d’un établissement et une contravention de la quatrième classe, ne pouvant dépasser 750 euros. «Il y a des contrôles, et il pourrait y en avoir plus, mais c’est très difficile de mettre un inspecteur derrière chaque expérience. Il n’y a guère que le chercheur lui-même qui peut savoir si ce qu’il fait est légitime ou pas», développe Georges Chapouthier, qui estime que la priorité est de développer «la formation éthique qui reste très insuffisante».
Pour entamer la transition, de nouvelles règles pourraient permettre d’améliorer le bien-être des animaux, notamment avant et après les expérimentations. «Ils souffrent autant qu’en 2010, dénonce Muriel Obriet, membre de la commission condition animale d’EE-LV. Or de nombreuses méthodes alternatives ont émergé. Elles doivent être développées et devenir obligatoires.» Une commission d’enquête parlementaire sur l’expérimentation animale, réclamée de longue date par les associations, pourrait être mise en place début 2019.