Bernard Pivot, de l'académie Goncourt.
Ils se sont rencontrés le 2 mai 1967, à Rome. C'est lui qui raconte. Il a 29 ans, il est assistant costumier, autrement dit une doublure. Il travaille sur un sketch tiré des Histoires extraordinaires, d'Edgar Allan Poe, tourné par Louis Malle. Avec Alain Delon. Elle, c'est Brigitte Bardot. "Bri" pour les intimes. Delon n'en est pas. Mais lui, l'inconnu, le modeste, le mignon jeune homme va le devenir. Et le rester pendant deux mois. Jolie histoire des amours de la star et du berger, de la liaison de la plus belle et la plus célèbre femme du monde avec F., une panne, un auxiliaire, qui n'aura même pas son nom au générique du film. C'est glamour, c'est touchant, c'est romantique, c'est épatant. Mais c'est faux. F. n'a jamais existé. Il a été inventé par Colombe Schneck. Elle en fait l'aveu avant même de commencer son roman. Ça fiche tout en l'air? Pas du tout. Très vite, on oublie l'honnête avertissement. On se demande comment il va s'y prendre, le ver de terre, pour séduire l'étoile. Comment il accédera au septième ciel. Premier miracle, ils s'aiment. Deuxième miracle, on y croit. Il y eut un vrai précédent. Avec Marilyn Monroe. Elle était venue, à Londres, jouer dans Le Prince et la Danseuse, film de et avec Laurence Olivier. Elle était accompagnée de son mari, Arthur Miller. Puis il était parti. Elle était malheureuse. Elle avait trouvé un consolateur inattendu en la personne du troisième assistant réalisateur, autrement dit le domestique de Laurence Olivier. Trente ans après, il avait raconté dans un livre l'histoire de sa bonne fortune. Colin Clark en a tiré un film à succès, My Week with Marilyn, avec Michelle Williams dans le rôle. Preuve en est qu'au cinéma rien n'est impossible, même la romance la plus improbable. Brigitte Bardot était l'épouse de Gunter Sachs, un play-boy milliardaire. Il l'avait conquise à la suite d'un pari. Il la couvrait de roses, de diamants, de dessous noirs, d'adjectifs mirobolants. Il pouvait lui offrir tout ce dont elle avait envie, à l'exception de ce à quoi elle tenait le plus, son amour. Il l'avait achetée pour sa publicité, pour son prestige. Il préférait s'exposer avec elle pour les photographes que se reposer avec elle dans leur intimité de plus en plus rare. Elle avait été abusée, elle s'était trompée. À Rome, comme Marilyn à Londres, Brigitte était seule, désemparée, apparemment joyeuse et espiègle, réellement terrassée par la mélancolie des femmes abandonnées. L'assistant costumier fit irruption dans sa vie au bon endroit, au bon moment. C'est ainsi que commencent toutes les histoires d'amour, longues ou éphémères. Il n'eut pas à se casser la tête pour imaginer une stratégie de conquête. C'est elle qui le remarqua et lui demanda de venir, un soir, dans sa chambre de l'hôtel Parco dei Principi, pour lui raconter une histoire… Et c'est lui, trente ans après, qui, s'adressant à l'actrice, lui raconte leur histoire. Sans l'habiller de mots ronflants. Colombe Schneck est une brillante élève du regretté écrivain et éditeur Jean-Marc Roberts, à qui elle a dédié son roman. Elle écrit court, simple, presque banal. La vie dans son naturel, l'amour dans sa candeur. Retrouver la spontanéité des gestes, l'évidence des conversations. Quelques semaines de bonheur d'un couple aléatoire formé d'un jeune homme chanceux, épris jusqu'à la moelle, et d'une femme célébrissime, son "professeur d'amour". Ça manque parfois d'un peu de chair, d'élans, de feu. Il est vrai qu'elle est pudique, qu'elle aime "l'amour physique comme un don naturel de la vie dont il faut profiter". Ce qu'a surtout réussi Colombe Schneck, c'est le portrait de la star. Elle avait alors 33 ans. Sa spontanéité, son humour, sa gentillesse, son besoin de protection et d'amour, sa fragilité, sa compassion. Les mots et expressions qu'elle emploie souvent : dégoûtant, rigolo, moche, tu m'embrasses papillon, c'est un chic type. Bri apparaît comme une "chic fille" paumée dans une renommée trop vaste et une solitude trop étroite. Colombe Schneck rapporte ce que la star confiait à Lucien Bodard, en 1973 : "Ma seule réussite aurait été de vivre avec le même homme toute ma vie et ça, je l'ai raté. J'ai besoin d'un homme qui soit à mon entière disposition. S'il le fait, c'est qu'il est bête et je me lasse. S'il est intelligent, il refuse et me quitte." L'assistant costumier a été "bête" pendant deux mois. Il ne le regrette pas. Colombe Schneck non plus. Et Brigitte Bardot? Mai 1967, Colombe Schneck, Robert Laffont, 260 p., 18,50 euros.
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