Propos recueillis par
« Sud Ouest » : Votre exposition est intitulée « Les Belles Années 50 ». Il y avait pourtant la Guerre froide, celle d'Indochine, puis d'Algérie pendant ces années...
Yves Manciet : Elles étaient belles parce que tout le monde avait de l'espoir. On sortait d'une guerre épouvantable, on était vivants, on avait la vie devant nous. C'est vrai qu'il y avait
encore beaucoup de privations. Je ne mangeais parfois qu'un jour sur deux. Mais 1952 était une meilleure année que 1950. Et 1950, une meilleure année que 1948. Et à cette époque il fallait à
peine une demi-heure pour trouver du boulot...
Vous avez dit que dans les années 50 être photographe de presse revenait à être historien à la journée. Vous aviez le sentiment que l'histoire s'accélérait ?
Disons que sans le chercher vraiment nous avons été les témoins d'énormes changements, et que notre travail a ensuite permis aux historiens de faire le leur. Je possède environ 1,7 million de
clichés ! Dont des photos historiques, comme celle de De Gaulle remettant la croix de la libération à Churchill. En fait à l'époque nous étions très peu. Le métier de reporter photographe
n'existait quasiment pas. Lors du premier festival de Cannes, en 1946, nous n'étions que six accrédités. Pour celui de 1996, le dernier que j'ai couvert, nous étions 384 ! Moi-même j'étais
entré dans cette profession un peu par hasard, après avoir pris des photos d'un déminage dans le port de Nice et les avoir proposées à un journal local.
Vous n'aviez pas toujours conscience de l'importance de ce que vous photographiiez ?
Pas toujours, non. La photo montrant Vian, sa femme, Sartre et Simone de Beauvoir dans un café de Saint-Germain-des-Prés, que l'on voit dans l'exposition, je l'ai prise comme une photo
souvenir, parce que j'étais copain avec Sartre. Or elle a fait le tour du monde. Même chose quand je suis parti en Espagne prendre des clichés de Franco avec ses enfants et qu'il m'a demandé de
le photographier manipulant un globe terrestre : Il ne se rendait pas compte que la scène rappelait « Le Dictateur » de Chaplin. Il était mégalomane. Et gâteux...
Les photos exposées à la base sous-marine montrent une France encore très rurale...
Oui. Il y avait dix fois plus de paysans que maintenant. Et même en ville on voyait des gens qui gardaient des habitudes de la campagne, comme laver son linge dans la Seine par exemple. Ce que
je montre dans une photo prise en 1950.
On sent aussi un réel plaisir à photographier de belles femmes...
(Interrompant) Aaaaaah oui ! J'ai connu Brigitte Bardot à 17 ans; c'est la plus jolie fille que j'aie jamais vue. Jolie et gentille : elle vaut bien plus que ce
qu'on a dit d'elle. Nous sommes toujours amis. Bien sûr que j'aimais photographier de belles filles, mais ça n'avait rien à voir avec les paparazzi. On avait des relations amicales. Si elles me
demandaient de ne pas les prendre en photo, je ne le faisais pas.
Vos clichés possèdent une profondeur de champ étonnante alors que les pellicules étaient beaucoup moins sensibles qu'aujourd'hui...
Il y avait quand même déjà des pellicules de 200 ASA. Mais j'avais une main extrêmement stable. Même au 1/5e ou au 1/10e de seconde je ne bougeais pas. Et puis j'étais chiant ! Je ne me
contentais pas de la facilité. Mais, surtout, ce sont les tirages qui mettent mon travail en valeur. Ils ont été réalisés par Franck Munster, d'Alinéa 33, qui est une sorte de génie dans ce
domaine.
Et ce gros plan de De Gaulle, vous l'avez obtenu au tirage ?
Non, j'avais un téléobjectif et j'étais à deux mètres. C'était pour sa première conférence de presse en 1958. Il n'était pas encore président. Après il n'a plus jamais accepté qu'un photographe
soit aussi près de lui.
Cela fait quoi d'être exposé dans un lieu qui a accueilli des rétrospectives consacrées à Capa, Doisneau ou Stettner ?
Tous ces photographes étaient mes amis. Je suis le seul survivant, parce que j'étais le plus jeune. J'ai 86 ans. Je suis le dernier témoin.
Jusqu'au 2 octobre, boulevard Alfred-Daney à Bordeaux. Entrée libre. 05 56 11 11 50.
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