Eric Romain : Alain, je vous ai sollicité pour cette interview dans Doggy, vous m’avez dit oui, vous avez tenu parole, qu’est-ce qui vous a fait accepter ?
Alain Delon : Doggy est un magazine pour les chiens et pas pour les humains, je ne suis là que pour ça, que pour aider les chiens et les animaux en général.
Si vous regardez la presse d’aujourd’hui, c’est effrayant… Vous n’avez pas vu, il y a de plus en plus de chiens abandonnés, avant c’était la période des vacances, maintenant il n’y a plus de
période creuse, c’est tout le temps. Je ne parle pas des sévices… En plus, des oreilles coupées, des numéros retirés, c’est effrayant... J’ai aussi lu quelque chose et c’est tout à fait
nouveau : la répartition actuelle des jours fériés, des jours de repos et des RTT font qu’on abandonne de plus en plus de bêtes. C’est bien… Mais alors pourquoi les prendre ?
E. R. : Souvent dans l’enfance, on est attaché à un animal. Vous souvenez-vous du chien qui est entré un jour dans votre vie ?
A. D. : La première chienne de ma vie s’appelait Gala, elle est toujours dans mon esprit, dans mon coeur, dans mes souvenirs et elle est enterrée chez moi à Douchy. C’était une Doberman
qu’on m’a offert et c’est la première chienne que j’ai vu pleurer. Un jour de jalousie, je l’ai engueulée pour quelque chose, un chien qui était venu, je ne sais plus ce qu’elle avait fait et
j’ai vu cette chienne me regarder et pleurer, ça m’a bouleversé…
J’ai toujours eu l’amour des chiens. Mon premier amour a été pour les Bas Rouge Bergers de Beauce, je trouvais ces chiens extraordinaires. Et puis, je me suis toujours dit, bien avant de
démarrer ma carrière, puisque j’étais militaire et je n’avais pas les moyens ni la possibilité d’en avoir : « J’espère un jour avoir des chiens » sans savoir que j’allais devenir
l’acteur Alain Delon. Moi, j’ai des chiens qui rient, ma chienne, là, elle rigole !
E. R. : Vous avez, disent vos amis, le culte de l’amitié, mais aussi une profonde affection envers les des chiens et les animaux. En quoi sont- ils différents des
hommes ?
A. D. : Ils ont en général toutes les qualités de l’homme moins les défauts ! Les défauts de l’homme qui sont eux, innombrables et innommables. Ils ont la fidélité, l’amour du maître
quel qu’il soit, sans savoir qui est et ce que représente le maître. Moi je suis toujours touché par les chiens des SDF dans la rue. Ils ne savent pas que leur maître est SDF… Ils aiment cet
homme, ils aiment leur père, de la même façon que le Labrador de Mitterrand aimait son maître sans savoir qu’il était président de la République et le patron du pays. Croyez-vous que les miens
savent que je suis Alain Delon ? Ils s’en foutent complètement. Mes chiens m’aiment, ils ne savent pas qui je suis et ce que je fais. C’est l’amour total, l’amour complet, l’amour sans
réflexion, l’amour pur et vrai.
E. R. : Y a t-il un rituel ou une communion particulière entre vos chiens et vous ?
A. D. : Il n’y a que ça, demandez à mon chauffeur qui est avec moi. Je pars de la campagne, j’en ai quatre qui sont dehors avec un chat. Dès que je change de chemise pour aller en ville,
mon chien Shalva se transfigure. Il sait que je pars, on le voit dans les yeux, il me suit partout, il ne bouge plus, il n’a plus le même comportement parce qu’il sait que je m’en vais. Ce qui
est formidable dans un chien, c’est qu’un chien sait que vous partez, mais il ne sait pas si vous allez revenir et il y a cette espèce de peur, mon père s’en va, mais est-ce qu’il va
revenir ? Et c’est ça qui est magnifique. Je l’ai déclaré un jour, la vrai solitude, c’est ce que je vois dans le regard de mes chiens quand je les quitte. E. R. : Vous
arrive t-il d’emmener vos chiens avec vous lors de vos déplacements ?
A. D. : Je ne les emmène jamais avec moi. Ce sont des chiens qui ne supporteraient pas. Les chiens sont nés chez moi (à part Shalva et Charra qui sont venus de Sibérie et les Dogues du
Tibet), vivent chez moi et meurent chez moi.
Douchy c’est un univers, vous me direz il y a 120 hectares, il y a tout ce que vous voulez, j’ai un drame malheureusement, c’est qu’ils me tuent de jeunes biches qui vivent en liberté chez moi.
On ne peut rien faire… Mes chiens ne sortent jamais de chez moi. Mais je ne pourrais pas venir à Paris avec ces chiens, ce n’est pas possible ! Ou ils tremblent dans la voiture ou ils
bouffent tout le monde. Le bruit, les voitures, la laisse, ils ne connaissent pas ça. Les seuls chiens qui venaient avec moi dans toute ma vie à Paris étaient les Malinois. Mais savez-vous,
pour revenir sur les Dogues du Tibet, que c’est moi qui ait emmené et importé les premiers en France, il y a 25 ans ? Et c’est à la suite de ça qu’il y a depuis, un club des Dogues du
Tibet.
E. R. : Avez-vous appris à vos enfants, Anthony, Anouchka et Alain-Fabien à aimer et à respecter les animaux ?
A. D. : Ils ont grandi avec les chiens. Ils ne pourraient pas vivre sans eux. J’ai des photos de mes enfants qui étaient au berceau avec les chiens. Ils ont la passion et l’amour des
animaux. Anthony, qui maintenant est un homme, a eu lui aussi trois Bergers Belges. Malheureusement le drame c’est qu’à 10 ou 12 ans, ils vous quittent. C’est le drame des grands chiens.
E. R. : Avez-vous une passion pour une race en particulier ?
A. D. : J’ai une passion pour les Bergers Belges. J’ai connu et découvert les Malinois tardivement, après les Dobermanns et les Bergers Allemands. Ce sont des chiens extraordinaires, j’ai
une passion pour eux. Ils sont toujours dans le monde entier des chiens de police et de douane. Ce sont des chiens physiques, j’aime les chiens physiques.
E. R. : Vous voyagez dans le monde entier mais vous êtes aussi un homme qui a de profondes attaches, que représente pour vous votre propriété de Douchy ?
A. D. : Douchy, c’est une propriété que j’ai acheté avant la naissance de mes enfants et la connaissance de leur mère, c’était avec Mireille et puis c’est devenu la maison familiale. C’est
ce que la mère de mes enfants appelait la base, parce que mes enfants sont nés là, ont grandi là… Quand je dis ils sont nés là, en réalité ils sont nés à la clinique à Gien et sont arrivés à
Douchy à trois jours. C’est la maison qu’on ne quittera jamais…
E. R. : Ceux qui ont eu la chance d’y être invités disent que c’est un paradis pour vos chiens ?
A. D. : Oui, Il y a des chiens partout ! Un jour dans une interview on nous avait demandé à Brigitte et à moi, ce qu’on aimerait être dans une prochaine vie : j’avais répondu
« je voudrais être chien chez Alain Delon » ou « mulet chez Brigitte Bardot ». Ca c’est l’idéal de la vie, parce que chien chez moi c’est le paradis, c’est le bonheur.
E. R. : Vous avez enterré tous vos chiens à Douchy, c’est pour ne pas les oublier ?
A. D. : Oh mais c’est beaucoup plus profond que ça mon cher Eric. D’abord les chiens c’est pour les garder près de moi, chaque chien a sa part de vie, sa pierre tombale et les couples sont
ensemble. Mais ce qui est beaucoup plus important, c’est qu’au milieu de ce cimetière des chiens, j’ai fait construire une chapelle où je serais enterré. Parce que j’ai la chance d’avoir fait
les formalités nécessaires avec les expertises des sols et des eaux. Vous savez que pour être enterré chez vous ce n’est pas donné à tout le monde. Il faut une propriété particulière et il faut
faire la demande de son vivant, que l’on ne vous donne pas mais que l’on vous accorde lorsque vous êtes mort. C’est-à-dire que ce sont vos héritiers qui disent : voilà les demandes ont été
faites etc… Donc moi, je serai enterré dans ma chapelle construite au milieu de mes chiens. Alors les gens viennent et me disent : « Tu ne te rends pas compte ! » Je leur
réponds : « Mais attendez, c’est le luxe suprême. Vous voulez que moi, j’aille au Père-Lachaise ou au cimetière Montparnasse ? » Là, je suis chez moi dans ma propriété au
milieu de mes chiens dans mon trou, c’est formidable ! C’est le luxe total !
E. R. : Brigitte Bardot est votre amie depuis de nombreuses années, après son choix d’arrêter sa carrière au cinéma et la création un peu plus tard de
sa Fondation, imaginiez-vous un instant son sacerdoce envers les animaux ?
A. D. : C’est mon amie depuis 50 ans, je lui ai toujours apporté mon aide, Brigitte est d’une importance capitale pour les bêtes et je pense même que
si elle vit aujourd’hui, c’est grâce aux animaux.
Parce que la plupart des stars mondiales féminines que j’ai bien connues se sont suicidées.
E. R. : Avez-vous tourné beaucoup de films avec des animaux ?
A. D. : J’ai tourné avec mes chiens dans les films. J’ai tourné avec mes Bergers Belges dans Le Toubib et dans le Gang.
Dès qu’il y a un chien dans un film, c’est mon chien. Mais il est vrai que c’est plus facile de tourner avec des bêtes au cinéma qu’avec des enfants.
Source :
http://www.lepetitnicois.fr/culture-loisirs-et-sport/animaux-cie/alain-delon-douchy-un-paradis-pour-ses-chiens,263.html