Bardot sous le soleil du Vercors, exactement !

Publié le par Ricard Bruno

du côté de Washington on se préparait à envahir Cuba. À Moscou on levait les yeux au ciel en conditionnant Gagarine. À Paris le référendum sur l’autodétermination de l’Algérie rebattait les cartes, et à Berlin on commençait sérieusement à penser à un mur.

Nous étions en 1961 et la planète bouillonnait.

Heureusement, au milieu de tout ça, une autre agitation faisait aussi vibrer les foules. Une onde de choc légère qui parcourait la planète et allait toucher subitement l’Isère…

Bardot sous le soleil du Vercors, exactement !
Bardot sous le soleil du Vercors, exactement !

Premier soubresaut, le 3 février. Ce jour-là, « vive effervescence » à Villard-de-Lans annonce le Dauphiné Libéré. L’arrivée d’une équipe parisienne vient de le confirmer : la montagne va se transformer en plateau de cinéma. 55 cinéastes, une débauche de matériel, des dizaines de figurants appelés en renfort, c’est sûr, il va y avoir de l’animation.

Sur le plateau du Vercors, certains se souviennent encore d’un tournage précédent, au début des années 40'. Michèle Morgan avait alors fêté ses 19 ans sur place en tournant « La loi du Nord ». A quoi faut-il s’attendre cette fois ? Un grand film ? Un réalisateur connu ? Des stars ?

 


 

Bardot sous le soleil du Vercors, exactement !

Encore quelques jours et le 5 février au matin, l’entrée d’un train en gare de Grenoble donne une première réponse. Arrivé avec trois heures de retard en provenance de Paris, de ses wagons descendent des dizaines de touristes pressés de monter en station. Et juste derrière la horde, un homme de grande taille.
Plus discret que les vacanciers, c’est pourtant lui que le photographe du Dauphiné mitraille. Roger Vadim vient de poser le pied en Isère.

Cinq ans plus tôt, il a demandé à Dieu de créer la femme et a fait trembler la planète cinéma. Alors quand en ce jour de février 1961, il déboule sur un quai de gare, l’onde de choc commence à se propager.

Car qui dit Vadim, dit…
Dit personne d’autre. Le réalisateur est seul. De bonne humeur, prêt à parler à la presse, mais sans star à ses côtés. Et avant de parler de son futur film, il a une priorité : boire un café au lait et manger un croissant.

 

Bardot sous le soleil du Vercors, exactement !

Ceci fait, Roger accepte volontiers de répondre à quelques questions. Vadim a un problème : « C’est la première fois que je vais dans une station sans pouvoir faire du ski ». On est d’accord Roger, cela relève de la torture. Mais le réalisateur le sait, son producteur « ferait un drôle de tête » si il se cassait une jambe. Il y a peut-être quand même une solution. « Je vais prendre une assurance de 50 millions. C’est la seule solution pour pouvoir skier » conclut-il.

Bardot sous le soleil du Vercors, exactement !
Bardot sous le soleil du Vercors, exactement !

Car le ski, Vadim adore ça. « Savez-vous que j’ai appris à skier à Morzine avec Vuarnet ? » dit-il au journaliste du Dauphiné. « Il avait à l’époque six ans mais il skiait déjà d’une façon formidable ». Bon. L’anecdote intéresse la presse mais moins que le tournage qui se trame sur le Vercors. Car qui dit Vadim, dit…
Dit toujours rien, Vadim préfère tourner autour du pot.

Dans le train il a lu la presse. « Lorsque j’achète le journal, je lis les informations générales. Ce matin je voulais connaître tous les détails sur le nouveau satellite soviétique ». Oui, mais ce tournage alors ! ?
« Après la bride sur le cou, je mettrai en scène le vice et la vertu. Puis j’abandonnerai pour deux ou trois années. Je vais en profiter pour lire, je deviens complètement abruti. » D’accord, d’accord… mais le Vercors ? « Il va faire beau » décrète-t-il. « Chaque fois que je tourne en extérieur, le temps me sourit ». Mais sous le soleil exactement, qui va-t-il filmer ! ?

Car qui dit Vadim, dit…

Dit Brigitte !

Le prénom est enfin lâché, et le nom inutile. À l’époque Brigitte c’est BB, et BB c’est Bardot. La planète entière le sait et frémit à chacune de ses apparitions.

Et c’est bien cette onde de choc-là qui s’apprête à secouer Villard-de-Lans.

Brigitte donc, où est-elle ? « Elle a loupé le train » sourit Vadim. « Mais demain elle sera à Villard-de-Lans ». Il y tient, c’est pour elle qu’il a accepté de prendre le film "la bride sur le cou" en cours de route, alors qu’un autre réalisateur était prévu.

Bardot sous le soleil du Vercors, exactement !

« Celle que je considère comme la meilleure actrice française, c’est Brigitte Bardot » dit-il. « Ne croyez pas que je la juge en tant qu’homme ou ex-mari, je l’apprécie comme metteur en scène ». C’est vrai qu’entre ces deux-là, le divorce n’a pas été complet. Elle n’avait que 16 ans quand il l’a rencontrée, 18 quand il l’a épousée en 1952. La romance a pris fin en décembre 1957 mais depuis, ils tournent encore ensemble.

L’onde de choc sera donc complète sur le Vercors : Vadim et Bardot seront bien là, ensemble.
À condition que Brigitte arrive…

 

Bardot sous le soleil du Vercors, exactement !
Bardot sous le soleil du Vercors, exactement !

Le lendemain, 6 février, nouvelles vibrations en gare de Grenoble. Sur le quai, comme la veille, un train en provenance de Paris arrive. Toujours la horde de touristes. Et juste après, BB.

Lunettes noires, manteau de fourrure, coiffure rousse impeccable, une vraie arrivée de star. De star sympathique. Brigitte est de bonne humeur et enlève volontiers ses lunettes le temps que le photographe du Dauphiné la mitraille, encore plus que Vadim la veille.

Lui était arrivé seul, elle est entourée comme toute star qui se respecte. Attachée de presse, habilleuse, coiffeuse… sont aux petits soins pour elle.

« C’est loin votre Villard ? » demande Bardot. Mais non, Brigitte, montez donc dans la voiture, vous allez voir, on y est vite.

 

Bardot sous le soleil du Vercors, exactement !

Mais si le trajet est rapide, l’humeur d’une célébrité change tout aussi vite. Arrivée à Villard-de-Lans, BB a perdu son sourire. L’hôtel où on lui a réservé une chambre ne lui plaît pas. « Pas assez chalet » apprend le reporter du Dauphiné présent sur place.

Aussitôt demandé, aussitôt trouvé !

BB s’installe au « Christiana ». Pile le genre de maison qu’elle souhaitait. Du coup BB pose ses valises, installe ses photos dans sa nouvelle chambre et change de tenue. Après le manteau de fourrure et les talons aiguilles, fuseau, anorak et botillons noirs. Sur la neige blanche, effet chic assuré.

Problème, selon le journaliste du Dauphiné, son humeur est assortie à ses vêtements : noire aussi.

Bardot sous le soleil du Vercors, exactement !

Pourtant ses hôtes font tout pour lui faire plaisir. Une tache au plafond de sa chambre ? Le peintre sort ses pinceaux dans la minute. Une envie de bain de soleil sur son balcon ? On lui rajoute une chaise longue dans la seconde. Brigitte aime les petits animaux en fourrure ? Et zou, les meubles de la chambre sont décorés en conséquence. Bouquets de roses pour toute son équipe, corbeille de lilas blanc offert par la petite fille du chalet… rien ne déride BB.

Bardot sous le soleil du Vercors, exactement !

La fatigue sans doute ? Après un bon repas peut-être que l’humeur s’améliorera…

Direction donc la Cote 2000 pour un déjeune au restaurant d’altitude. BB refuse le canard à la bigarade. En revanche, les tomates au thon, le steak bleu et les spaghettis à la bolognaise font leur effet. À moins que ce ne soit la tomme, les tartelettes ou le rosé… Car oui, à cette époque, la mode n’est pas à la maigreur, les stars ont le droit de manger. De fumer aussi d’ailleurs.

Pour finir sa journée, Bardot tente un petit tour dans Villard. En quelques minutes la population est au courant et l’étau se resserre autour de la star. Prise de panique, elle est exfiltrée par une arrière-boutique. Bardot en pleurs ! Le scénario de sa visite n’avait pas prévu cela. Sa venue va-t-elle tourner à la catastrophe ? Mais non !

Bardot sous le soleil du Vercors, exactement !

Vadim, revenu de ses repérages, met fin à la tragédie : « Demain, tout le monde à 10 heures sur la piste de bob. On tourne ! »  Suffisant pour redonner le sourire à BB.
« Moi j’aime travailler » murmure-t-elle à côté du journaliste du Dauphiné. « Je suis toujours heureuse lorsque j’exerce mon métier. Alors vive demain, ce sera jour de joie et vous verrez mon sourire ! »

Se sacrifiant pour vérifier cette information d’importance, notre journaliste est donc présent à nouveau le lendemain.

Et ? Bardot a effectivement retrouvé sa bonne humeur. En revanche, le ciel du Vercors, lui, s’est franchement assombri. Impossible pour Vadim d’obtenir ce qu’il veut dans ces conditions, journée de tournage annulée. Mais rassurez-vous, Brigitte ne pique pas de colère pour autant. Avec le reste de l’équipe, elle passe la journée tranquillement au restaurant de la Cote 2000.

Bardot sous le soleil du Vercors, exactement !

Au programme, tricot et belote. Véridique ! Il faut dire que pour les acteurs, la punition est la même que pour le réalisateur : pas de ski, pas de partie de boules de neige, trop dangereux ! D’où le tricot et la belote.

Pendant ce temps à Villard, des petites mains se mettent en quatre pour faciliter le tournage.

Le scénario prévoit que BB tombe amoureuse d’un jeune sportif. Histoire de faire original, il y aura donc dans le film une course de bob. Voilà pourquoi Villard-de-Lans a été choisi. « En feuilletant un guide des stations d’hiver, nous avons découvert que vous possédiez une piste de bobsleigh renommée » a expliqué Lucien Lippens, le bras-droit de Vadim. Vadim qui voulait en plus une scène avec une avalanche. À Villard c’était possible aussi d’en reproduire une. Alors va pour le Vercors !

 

Bardot sous le soleil du Vercors, exactement !
Bardot sous le soleil du Vercors, exactement !

Mais pour que la piste de bob soit parfaite, il faut la verglacer. Les récipients qui d’habitude servent à collecter le lait des alpages sont donc réquisitionnés pour monter de l’eau. Et les habitants du coin se transforment en porteurs. Que ne ferait-on pas pour Brigitte !

De toute façon Brigitte est tellement irrésistible que l’onde de choc de sa venue finit aussi par chasser les nuages. Le 7 février au matin, grand soleil sur les Alpes, on tourne !

Bardot sous le soleil du Vercors, exactement !

Pour la scène de bob, le champions locaux ont été réquisitionnés. L’équipe de Villard mais aussi les as voironnais. Pour les scènes à l’eau de rose, place aux vrais acteurs avec notamment Michel Subor. Enfin pour les plans sur la foule, pas de souci, les trois quarts des habitants sont là. Et au centre de l’onde de choc, BB évidemment…

Bardot sous le soleil du Vercors, exactement !

BB qui est censée sauter dans un bob et s’élancer dans la pente. Pour la partie risquée, elle aura évidemment une doublure. Un jeune Villardien qui a été prié de mettre le même fuseau et le même petit bonnet. De quoi se faire légèrement moquer par ses camarades : « Vas-y Alain ! T’es chouette en BB. Vlà notre Bardot ! »

 

Bardot sous le soleil du Vercors, exactement !

Mais Bardot doit quand même au moins sauter dans le bob. Alors Brigitte s’élance, saute… et jaillit à nouveau du bob en hurlant. Normal ou pas, se demandent les témoins ?

Pas normal. Drame sur le plateau du Vercors : BB vient de se planter une écharde dans le postérieur !

Suffisant pour que le médecin intervienne tout de suite. Mais pas si grave que ça. Le postérieur de BB se remet, et l’on reprend le tournage.

 

Bardot sous le soleil du Vercors, exactement !

Les scènes prévues sont mises en boîte, ne reste que la fausse avalanche à déclencher. Ce sera fait le lendemain, sur les sommets de Saint-Nizier.

Mais à peine la tempête BB déclenchée… que le calme revient déjà. En deux petites journées, le tournage a été bouclé. Tout ça… pour 4 min de film.

Bardot sous le soleil du Vercors, exactement !

BB est venue, a vu et a vaincu la montagne. Les Isérois rêvent encore d’elle qu’elle repart déjà pour Paris, pour d’autres tournages ou d’autres chansons. Et d’autres ondes de choc évidemment.

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