Rencontre au sommet ou mariage forcé de deux actrices au sommet de leur gloire ? Cinquante ans après sa sortie, le western échevelé de Louis Malle, “Viva Maria !”, trouble toujours les esprits.
Scènes de bataille dans la jungle mexicaine, explosions, cascades, rafales de mitraillettes, scènes de fête et de liesse. Costumes sophistiqués créés par Pierre Cardin pour Jeanne Moreau et Brigitte Bardot, deux des plus grandes vedettes du cinéma français : Viva Maria ! fut bel et bien le « blockbuster » de Louis Malle, film-spectacle à très gros budget, tourné au Mexique en 1965. Après l'exigeant Feu follet (inspiré du roman de Drieu la Rochelle), le film a surpris la critique, tour à tour séduite, outrée, partagée entre plaisir et détestation devant tant d'opulence et de burlesque.
Le tournage, surtout, a fait couler énormément d'encre dans la presse, française et internationale, qui se focalisait sur la supposée rivalité entre Bardot et Moreau — et s'en délectait. Il a ainsi généré 17 % d'articles de plus que Cléopâtre de Mankiewicz, événement cinématographique sorti deux ans auparavant, selon un sondage de L'Express de 1965 ! Il a également été entouré d'un immense battage publicitaire, et la sortie du film, accompagnée de produits dérivés, façon Disney.
“Je pensais qu'il serait drôle de réunir Bardot et Moreau dans le même film”, Louis Malle
En choisissant ces deux immenses stars, Louis Malle savait qu'il affolerait les médias et les spectateurs : « Je pensais qu'il serait drôle de réunir Bardot et Moreau dans le même film. Je désirais que l'alchimie opère entre l'actrice de métier et la star, entre la femme sophistiquée et l'enfant instinctive. » Bardot, sublime, joue Maria, la fille d'un anarchiste irlandais, formée au combat. Quand elle se retrouve seule à la mort de son père, elle se réfugie au sein d'un cirque, auprès d'une autre Maria (Moreau), chanteuse parisienne. Celle-ci l'embauche comme partenaire d'un numéro de strip-tease qui va charmer tout le Mexique... avant de se retrouver mêlées à une révolution dont elles deviennent des meneuses. Le duo qu'elles forment dans le film sur Ah ! Les p'tites femmes de Paris reste inoubliable.
“Le minois de Bardot contre le visage de Moreau, c'est gagné d'avance, c'est commercial”, Jean Collet, “Télérama”
Pour le journaliste Jean Collet (Télérama), l'idée même de ce duo était « impardonnable » : « Le minois de Bardot contre le visage de Moreau, c'est gagné d'avance, c'est commercial : on sait bien que les gens iront voir une compétition Bardot-Moreau. » Dans Cinq colonnes à la une, BB balayait cette polémique avec aplomb : « Les deux Maria sont complices et amies, et dans la vie, c'est la même chose. On reçoit beaucoup de journaux français qui ont l'air d'insinuer que c'est la bagarre entre nous deux. Je l'aime beaucoup, c'est une fille formidable, et nous nous entendons très bien. Nous sommes de bonnes amies ! »
Les deux actrices ont pourtant bien souffert en arrivant au Mexique. Mais plutôt du climat, de l'altitude... La première semaine est rude pour l'équipe. Jeanne et Brigitte sont tour à tour malades plusieurs jours d'affilée, à tel point que Louis Malle craint de ne jamais les avoir sur pied ensemble.
Du tournage reste aussi les souvenirs du romancier, journaliste, scénariste et essayiste autrichien Gregor von Rezzori, ami du réalisateur et acteur dans le film dans le rôle du magicien. Il est l'auteur d'un féroce journal de bord sur le tournage, dont certains extraits paraissent alors dans la presse étrangère. Les Morts à leur place, journal d'un tournage — allusion aux figurants, ainsi interpellés sur le plateau — est traduit plus de quarante ans après en français (éditions Le Serpent à plume, 2009) . Von Rezzori y décrit le petit monde qui gravite autour du film, les caprices et les tensions, les rivalités, et porte un regard critique sur le scénario tout en réalisant une peinture lucide du Mexique. Une contribution de plus à la légende internationale de Viva Maria !