Face à la gare SNCF, Monique achète croissants et viennoiseries par dizaines. Elle doit bien ça à ses nouveaux camarades des escabeaux l’ayant accueilli dans le groupe cette année. Dans la seule boulangerie aux « prix accessibles de la ville », celle qui vient de souffler ses 70 bougies se montre pourtant lassée, à presque mi-parcours du marathon cannois.
Lunettes de soleil sur le nez et banane attachée autour des hanches, elle s'apprête, pour la cinquième journée consécutive, à passer ses après-midis à parler mondanités et variétés sous un soleil tempéré.
Devant le portique de sécurité où s'installe la mamie aux mèches blondes platine, le débat autour de l’affiche officielle de cette 77e édition s’étend jusqu’aux derniers rangs de la file d’attente croissante.
« C’est l’affiche la plus laide qu’on a eu depuis au moins 20 ans », râle Martine, sa voisine de palier, tout aussi passionnée. De cette photographie extraite de Rhapsodie en août, long métrage du grand cinéaste japonais Akira Kurosawa - présenté en ces mêmes lieux en compétition officielle en 1991 -, les deux femmes ne retiennent que la déception de ne toujours pas voir Brigitte Bardot honorée par la manifestation qui a fait d’elle l’étoile qu’elle a été.« On a mis en avant Belmondo, Anna Karina, Mastroianni puis Deneuve, mais jamais B.B. ! Et pourquoi ? Parce qu’elle dérange, parce qu’elle n’est pas la langue de bois ! », ajoutent en cœur les festivalières en n’évoquant qu'à demi-mot les positions controversées de l’ancienne gloire des sixties, aujourd’hui enfermée dans sa maison de Saint-Tropez. « Elle est libre de penser ce qu’elle veut ! », renchérit Jeanine, assise deux marche-pieds plus loin. C’est certain, la ville de Cannes ne risque pas de pencher à gauche.
Debout, deux jeunes adolescentes ricanent, filment discrètement la scène sur leurs téléphones. De Bardot, elles ne savent rien. Ni couleur politique, ni combats sociaux. Et ce n’est peut-être pas si mal…
Made in Cannes
Au lever du jour, la Croisette, toujours plus fêtarde, est encore quasi-vide. Au milieu des boutiques fermées et des bistrots prêts à accueillir les premières âmes décaféinées, Aurélien assure l’ouverture du tabac qu’il a hérité de ses grands-parents. Sur la devanture des 30 mètres carrés lui servant de local sont placardés clichés et autographes d’un autre temps. Delon et Darc, Johnny et Adeline, Gainsbarre et Birkin, tous les couples mythiques passés par le festival sont représentés pour tenter d’attirer une clientèle adepte de kitsch.
« Ne prenez surtout pas de photos ! Il faut que les gens viennent admirer ces raretés de leurs propres yeux ! », scande le jeune homme qui vient tout juste d'avoir 20 ans, en sortant une carte postale à l'effigie de Bardot et de Vadim, torrides amoureux sur le sable brûlant de la plage de la Bocca en 1956.
Le 23 avril de cette année-là, B.B. arrive dans la capitale du cinéma avec une valise et des illusions plein la tête. Sur le quai de la station de train, une poignée de photographes l’attendent timidement. Ce n’est pas encore la star que tout le monde veut voir mais au bout du deuxième jour, un détail va tout changer. Une teinture surtout.
Désormais blonde après une longue soirée passée avec le coiffeur du Carlton, Brigitte passe du statut de jeune première à celui de femme fatale. Les producteurs américains craquent, Vadim obtient le financement qu’il recherchait désespérément. Le tournage de Et Dieu créa la femme peut enfin commencer. Le reste de l’histoire est connu de tous...
Salma, Selena et enfin, Rachida !
Retour au présent. Le soleil presque couché, la voix de Barbara Carlotti berce les premiers convives décidés à investir le tapis rouge alors que les Miss France oubliées débarquent en farandole. Comme un signe voulant les rappeler à l'ordre, l'icône almodovarienne Rossy de Palma - qui est visiblement allée chercher de l’inspiration dans le dressing de Geneviève de Fontenay - vient perturber, fleur rouge dans la poitrine, un public conquis par les maniérismes de la dernière prima donna ibérique.
Clope au bec, Leos Carax ignore la foule jusqu'à mépriser une Elsa Zylberstein crispée et une Charlotte Gainsbourg refusant d'ôter ses binocles fumées. Sans doute pour éviter de croiser la plus people des ministres de la Culture, entourée d’une bande de lycéens pour une cause ou une autre. Il faut bien prétendre s’investir entre deux galas.
Au bras de son époux, accessoirement archi-milliardaire, Salma Hayek prend possession des 60 mètres lui étant entièrement concédés, en attendant la sortie des voitures blindées du casting d’Emilia Perez de Jacques Audiard, en lice pour la Palme d’or.
Avec près d’une demi-heure de retard, c’est entre la présidente Iris Knobloch et le délégué générale Thierry Frémaux que Rachida Dati accueille un cru cinq étoiles composé, entre autres, de Zoe Saldana, d’Edgar Ramírez et de Selena Gomez, la Geri Halliwell de l’époque.
Idole d’une génération préférant aduler les très lisses interprètes-Cendrillons de 35 ans aux punkettes d’autrefois, la star américaine réussit l’exploit en ce samedi après-midi de réunir quelque 2 500 admirateurs hystériques et en pleine puberté.
« J’ai rarement entendu autant de cris de jeunes gens à l'unisson ! C’est rare de voir des personnes sous l'âge de la retraite ici ! », s’amuse à dire Monique en découvrant l’existence même de la chanteuse aux 428 millions d’abonnés. « Ça m'a rappelé la folie qui existait autour de B.B. ! L’époque a bien changé… »