Marée noire à l'île Maurice : plusieurs centaines d'espèces animales en péril
Nous sommes à des milliers de kilomètres de île Maurice, mais nous ne pouvons pas ne pas se sentir concerné, bien au contraire cela touche tout le monde...
Bruno Ricard
Oiseaux rares, tortues, poissons, coraux... L'échouage d'un navire japonais, occasionnant la fuite de plus d'un millier de tonnes de carburant au large de l'Île Maurice, risque d'affecter des centaines d'espèces animales déjà fragilisées par la surpêche, les pesticides et les changements climatiques. 30millionsdamis.fr fait le point.
La mort a pris le visage d'une nappe noire et gluante. Le samedi 25 juillet 2020, un navire marchand faisant route dans l'Océan Indien s'est échoué sur un récif corallien au large de l'île Maurice. A son bord, aucune marchandise, mais ses cuves pleines de carburant. De la coque percée se sont déjà échappées près de 1200 tonnes d'hydrocarbures à ce jour. Si les autorités affirment avoir extrait le fioul restant – soit 3000 tonnes – des réservoirs du bateau avant que celui-ci ne finisse par se scinder en deux le samedi 15 août, la nappe toxique a malgré tout progressé vers les côtes, teintant les eaux translucides d'une large et obscure traînée opaque.
Une biodiversité parmi les plus riches au monde
Le pétrole lourd, utilisé pour propulser les navires, étouffe la faune et la flore.
Adam Moonla, chercheur en écologie
« Le vent et les courants marins ne sont d'aucune aide, portant le carburant vers les zones abritant des écosystèmes marins d'importance vitale », s'alarme Sunil Mokshananda, ancienne experte pour l'ONG Greenpeace et se trouvant proche du lieu de l'échouage, citée par la BBC (13/08/2020). Parmi les sites naturels les plus exposés : la mangrove de la Pointe d'Esny (22 Hectares) et la réserve marine de Blue Bay (353 Ha), classées « zones humides d'importance internationale » par la Convention de Ramsar, ainsi que l'Île-aux-Aigrettes (27 Ha). La biodiversité de ces écosystèmes compte parmi les plus riches au monde, avec 72 espèces de poissons et 38 coraux distincts rien que pour la réserve de Blue Bay.
Au total, l'Île Maurice abrite 1700 espèces animales, dont 800 espèces de poissons et 17 espèces de mammifères marins, d'après la Convention sur la diversité biologique (CBD) des Nations Unies. Si les impacts précis de la marée noire sur les écosystèmes sont imprévisibles, les processus à l'œuvre, eux, sont connus. « Les composés chimiques des carburants sont toxiques pour les êtres vivants, explique Adam Moolna, écologue à l'Université de Keele (R.-U.), sur The Conversation (11/08/2020). Le pétrole lourd, noir et collant, utilisé pour propulser les navires, est moins toxique que les hydrocarbures légers (diesel, essence). Mais il persiste plus longtemps dans l'environnement, étouffant la faune et la flore. »
Des effets directs... et indirects !
Les hydrocarbures vont "blanchir" les récifs coralliens, ce qui entraînera leur mort.
Richard Steiner, biologiste marin
Face à cette pollution, les récifs coralliens se trouvent en première ligne. Une « contamination chronique des coraux » risque de venir s'ajouter aux « dégâts physiques immédiats » provoqués par l'échouage du navire et le déversement d'hydrocarbures, prédit Jacek Tronczynski, chercheur à l'unité d'écotoxicologie de l'Ifremer, interrogé par France Inter (13/08/2020). « Les hydrocarbures toxiques vont "blanchir" les récifs coralliens [le blanchissement est la perte des algues symbiotiques qui fournissent aux coraux de l'oxygène et des nutriments, NDLR], ce qui entraînera leur mort », affirme de son côté le Pr Richard Steiner, biologiste marin en Alaska (US), cité par la BBC.
« Il ne s'agit pas seulement de la nappe visible à la surface de l'eau : il y a également des composés solubles qui se dissolvent, une couche mousseuse sous la surface, et enfin des résidus plus lourds qui se déposent sur les fonds. L'écosystème entier est affecté », précise Corina Ciocan, biologiste marine à l'Université de Brighton (R.-U.). « D'autres marées noires l'ont montré : elles ont un impact néfaste sur la biodiversité marine, en tuant des animaux, en s'insérant dans la chaîne alimentaire et en impactant durablement l'écosystème », confirme à France Inter Vincent Florens, professeur agrégé en écologie à l'université de Maurice. Ainsi, même les animaux qui n'entrent pas en contact direct avec la substance peuvent être touchés.
Le pigeon rose et la tortue géante des Seychelles, eux aussi menacés
Parmi les représentants de l'extraordinaire faune aviaire mise en péril par la marée noire, figure le précieux Pigeon rose. Considéré comme l'un des oiseaux les plus rares au monde, il n'en restait qu'une dizaine de spécimens au début des années 1990. Depuis sa réintroduction sur l'Île-aux-Aigrettes, le fragile colombidé est passé de la catégorie « En danger critique » (dernier palier avant l'extinction) à celle de « En danger » sur la Liste Rouge des espèces menacées. Des tortues géantes des Seychelles y ont, elles aussi, été réintroduites afin de favoriser la présence de plantes endémiques.
Mais désormais, tous ces animaux ont le malheur de se trouver sur le funeste parcours de la nappe toxique. « L'Ile-aux-Aigrettes a été durement affectée par la marée noire, affirme l'ONG locale Mauritian Wildlife Foundation (post ci-dessus). Nous avons dès à présent pris des mesures préventives pour minimiser l'impact sur la faune et la flore ». Outre le déplacement de certains reptiles, les bénévoles confectionnent des barrières flottantes à base de paille de canne à sucre et de cheveux, afin de contenir la nappe et de pouvoir pomper par bateau les hydrocarbures avant qu’ils ne se déposent sur le rivage.
Des espèces déjà fragilisées
Au bout d'un moment, l'écosystème va s'effondrer.
Vincent Florens, Pr agrégé en écologie
Les dramatiques conséquences de la marée noire viennent s'ajouter aux autres menaces d'origine humaine, qui ont déjà causé l'extinction d'espèces endémiques de l'Île Maurice. « Nous avons des situations de surpêche dans les lagons, des pesticides agricoles, des fertilisants, plus les effets du changement climatique et le blanchiment des coraux, énumère Vincent Florens. Avec une marée noire en plus, tout cela fait beaucoup et nous allons arriver à un moment où l'écosystème va s'effondrer. »
Cette catastrophe fait ressurgir le pénible souvenir du Deep Water Horizon, la plateforme pétrolière qui avait relargué près de 400.000 tonnes d'hydrocarbures dans le Golfe du Mexique en 2010. Plusieurs milliers de poissons, de dauphins et d'autres animaux marins avaient trouvé la mort, sans compter les effets à plus long terme de la pollution sur la santé des organismes. En France, l'Amoco Cadiz, naufragé au large du Finistère en 1978, avait répandu plus de 220.000 tonnes de pétrole brut dans l’océan, ôtant la vie à plusieurs millions d'animaux. En décembre 1999, le pétrolier Erika se brisait en deux, toujours au large du Finistère, laissant échapper 20.000 tonnes de fioul et tuant plus de 150.000 oiseaux.